«Construire ensemble»,la transformation d'un site militaire en site multiculturel au Havre

1. Contexte

Le Havre écrit une nouvelle page de son histoire : rasée pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville se reconstruit et s’étend dans les années 1950-60, annexant des communes voisines. Avec huit quartiers répartis de part et d’autre de la falaise, Le Havre doit s’adapter aux restructurations industrielles de l’économie portuaire et automobile qui entraînent une baisse inexorable du nombre d’habitants. La Ville met en place depuis les années 2000 une politique volontaire de rénovation urbaine et de dynamisation économique. Elle conserve des indicateurs sociaux préoccupants dont un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne nationale, notamment dans le quartier de Tourneville.

LA CULTURE NE DOIT PAS APPARAÎTRE SOUS FORME D’UN PROGRAMME FICELÉ, MAIS PLUTÔT COMME UN PROCESSUS DESTINÉ À ÊTRE DISCUTÉ, DÉBATTU, VOIR CONSTRUIT AVEC TOUS LES ACTEURS.

La labellisation de la Ville par l’UNESCO au titre de son patrimoine reconstruit a été le point de départ d’une image nouvelle pour Le Havre. Cet événement a fait naître un changement de regard des havrais sur leur ville. Il a inspiré à la ville a inspiré une politique culturelle plus ambitieuse : enrichissement des collections du musée d’Art Moderne centrées sur le mouvement impressionniste dont elle est le berceau, ouverture d’un appartement-témoin de la reconstruction, dynamisation de l’école d’art municipale axée sur les métiers du graphisme et du design...

La fermeture d’un lieu dédié aux musiques actuelles dans le Volcan d’Oscar Niemeyer a déclenché une importante mobilisation des acteurs et des publics. Suite aux assises publiques de la culture, le Maire et la Direction Générale de la ville ont engagé ces acteurs et publics à faire des propositions. Les acteurs culturels ont alors lancé un processus ouvert où tous les porteurs de projets, artistes et publics qui le souhaitaient ont eu la possibilité d’exprimer leur besoin. Cette mobilisation est devenue un organe de consultation, de concertation et de construction d'un diagnostic. Au projet de salles de concert et de répétition s’est substitué un projet répondant à des besoins nouveaux. Structuré autour d'un gouvernement partagé ville/acteurs de terrain, il s’est implanté dans un site où a pu se développer toute la vitalité culturelle de la ville : le Fort, au cœur de Tourneville.

CETTE DYNAMIQUE EST ALLÉE AU-DELÀ DE LA QUESTION DE L’OFFRE CULTURELLE ET S’EST BASÉE SUR L’IDÉE DE DROIT A LA CULTURE ET D’ÉQUITÉ.

2. Le Havre et la culture

Depuis l’organisation de ces assises, la municipalité affiche une volonté de positionner la Culture en tant qu’axe majeur du développement du territoire. Outre la réhabilitation d’équipements culturels comme le Volcan, œuvre architecturale d’Oscar Niemeyer, scène nationale et future médiathèque, cette politique s’appuie fermement sur la certitude que le champ culturel est apte à répondre à une part des grands défis qui s’offrent à la ville pour l’avenir, en termes d’attractivité, de rayonnement et de contribution au lien social. C’est à ce titre qu’un plan lecture spécifique, « Lire au Havre » permet depuis 2011 la mise en place d’un dense réseau de points et relais-lecture et occupe le devant de la scène avec le festival littéraire «le goût des autres».

Véritable « pilier du renouveau Havrais » comme l’affirme le nouveau maire à son arrivée en 2010, la Culture, poursuit-il, “ne doit pas apparaître sous forme d’un programme ficelé, mais plutôt comme un processus, destiné à être discuté, débattu voire construit avec tous les acteurs et personnes désireuses de s’y impliquer”. Plusieurs acteurs culturels issus notamment de l’éducation artistique, des musiques actuelles, des pratiques amateurs ou professionnelles, artistes et acteurs sociaux se sont réunis autour de ce projet sur l’ancien site militaire de Tourneville et son quartier, donnant à voir la culture comme perspective de développement pour le quartier, mais aussi pour toute la ville.

Le Havre est très engagée sur un agenda 21 qu’elle a intitulé « construire ensemble une ville durable ». Elle a voulu faire converger dans cet agenda ses politiques publiques principales et notamment y a inscrit sa politique culturelle liée à la lecture. Ce « plan lecture » concerne une diversité d’interventions, de la plus spectaculaire à la plus modeste pour donner aux habitants le goût du livre, de l’écriture et de la lecture. La municipalité a intégré cette part dans le « bien-vivre ensemble » qui est devenu un nouvel axe de l’agenda 21 du Havre. Dans le futur la ville souhaite compléter cette convergence pour rassembler tout ce qui concoure à bien vivre sur un territoire et qui en fait un aspect majeur de son développement durable. La culture est porteuse d’une dimension sociale et d’une dimension économique fortes. Elle est une force en soi pour la ville et ses habitants.

3. Objectifs et mise en œuvre du projet

3.1. Objectifs globaux et spécifiques

Objectifs globaux

  • Répondre à des besoins culturels exprimés par des organisations et des habitants/usagers.
  • Intégrer la population les acteurs et artistes du territoire au processus d’élaboration des projets, et faire vivre la démocratie participative par la mise en place d’un dialogue riche sur l'intérêt primordial, convivial et économique de la culture pour un territoire.
  • Recréer le sentiment de fierté citoyenne des havrais.
  • Objectif global additionnel : Favoriser la mise en évidence de besoins culturels non connus via la mise en place d’une réponse non-institutionnelle accompagnée par la Ville et basée sur les attentes de havrais.

LA VILLE S’EST POSITIONNÉE AUX CÔTÉS DES ACTEURS SANS SE SUBSTITUER À EUX. UN POSTE A ETE CRÉÉ EN INTERNE : L’AGENT «CO-CONSTRUCTEUR».

Objectifs spécifiques

  • Transformer un site militaire en un lieu de culture multidisciplinaire polymorphe avec des projets d’une grande diversité portés par de multiples acteurs du territoire ou par la municipalité et répondant à une partie des attentes exprimées.
  • Reconfigurer ce site en un foyer culturel, en un lieu de vie public qui puisse générer des actions dans toute la ville et spécifiquement dans le quartier laissé pour compte à proximité, entrainant une dynamique d’encouragement à l’initiative.
  • Pouvoir faire profiter à toute la ville de sa vitalité culturelle en offrant une plateforme d’activités multiples dans un cadre environnemental à préserver.

3.2. Caractéristiques et actions réalisées

L’ouverture du Site au cœur du quartier de Tourneville a établi une relation avec le centre social pour imaginer une présence active de la dynamique culturelle aux cotés et avec les habitants. Deux associations ont pris en main les besoins les plus urgents : salles de répétition, de concerts, de fabrication de spectacle vivant, salle pédagogique, lieu d’exposition de résidence, logements, espace de co-working, lieu de convivialité. La ville prend en charge l’amélioration d’alvéoles pour les plasticiens, la voierie, l’éclairage, les accès. Une trentaine d’organisations se sont réunies en un groupement d’employeurs et offrent une plateforme de coopération et de rencontres régulières. Ce site de dynamiques culturelles collectives permet d’ouvrir le champ des possibles des acteurs et des artistes, de multiplier les possibilités d’actions avec les publics, de s'adresser par la diversité de l'offre à un nombre croissant d’habitants, amateurs ou professionnels par le spectacle vivant, la formation.

LA CULTURE EST PORTEUSE D’UNE DIMENSION SOCIALE ET D’UNE DIMENSION ÉCONOMIQUE FORTES. ELLE EST UNE FORCE EN SOI POUR LA VILLE ET SES HABITANTS.

  • Conception du projet par un processus de rencontres avec les équipes actives dans le champ artistique et culturel havrais, les artistes. Il s’agissait d’écouter les besoins, les points de vue des uns et des autres afin de les intégrer dans les projets portés par les associations (activités, espaces et fonctionnement). Le but est de concevoir un lieu d’utilité collective dans le champ des musiques actuelles, du théâtre, de la danse, des arts visuels intégrant une dimension sociale économique et écologique en prise avec son quartier.
  • Mise en place d’un fonctionnement collectif, condition majeure d'un projet cohérent. Le gouvernement collectif facilite la coopération, le respect de chacun et les dynamiques de collaboration en créant un environnement de travail propice à développer les singularités qui ouvre un espace social au quartier. Ce mode d’organisation prend aussi en compte les paramètres écologiques. La structure de la gestion partagée permet l’évolution, la souplesse, la flexibilité, et affirme une grande diversité d'offres, garante de sa vitalité. «Ne pas créer d’effet d'écrasement des gros organismes vis-à-vis des petits, des professionnels vis-à-vis des amateurs, ne pas avoir un rôle de filtrage mais bien proposer un outil multi-structurel, qui laisse se développer des sensibilités, des cultures radicalement différentes, des pratiques diversifiées».
  • Réalisation de trois chantiers en fonction des affinités des acteurs et de la ville donnant lieu à une nouvelle construction à partir de containers; la réhabilitation patrimoniale d’une partie des soutes militaires ; la remise aux normes de sécurité du site et la mobilisation des artistes et acteurs culturels sur le diagnostic social du quartier présenté par le centre social. Ceci a entraîné la mise en place d’un partenariat dans le cadre du futur contrat de développement social du quartier. Des déjeuners de quartier ont été organisés chaque mois avec les habitants afin d’imaginer une fête de quartier pour l’inauguration du site en septembre 2013.

3.3. Fonctionnement

L’organisation du projet a reposé sur l’expression des acteurs sur leurs besoins culturels. Leur mobilisation, encouragée par la municipalité, a révélé des besoins jusqu'alors non exprimés. Cette dynamique est allée au-delà de la question de l’offre culturelle et s’est basée sur l’idée de droit à la culture et d’équité. La méthode du « construire ensemble » a concerné une multitude d’acteurs d’une grande diversité. Un gouvernement collectif inclusif s’est instauré. La clé du processus : prendre le temps de se parler, de s'écouter, de se répartir les rôles selon les compétences et les expériences de chacun ; d'apprendre à décider ensemble pour gérer le quotidien des acteurs, des citoyens, des services municipaux en cohérence avec le projet et avec l'élan initial.

LE BUT EST DE CONCEVOIR UN LIEU D’UTILITÉ COLLECTIVE DANS LE CHAMP DES MUSIQUES ACTUELLES, DU THÉÂTRE, DE LA DANSE, DES ARTS VISUELS INTÉGRANT UNE DIMENSION SOCIALE ÉCONOMIQUE ET ÉCOLOGIQUE EN PRISE AVEC SON QUARTIER.

« Seul on va vite mais ensemble on va loin », se dit-on là-haut dans cet ancien fort pour maintenir le cap de cette dynamique collective quand quelquefois cela paraît « trop long » de prendre le temps de tenir compte des avis de tous. Le projet est le résultat des propositions de vingt-trois organisations de la société civile en interaction avec d’autres associations, des habitants, des usagers, la municipalité, le centre social, chacune portant une partie du projet global, et la responsabilité de l'ensemble. Les associations ont choisi un coordinateur qui a rassemblé tous les éléments importants les uns avec les autres afin de dessiner un projet cohérent. Cela s’est fait grâce à un long travail de concertation, d'écoute et d'apprentissage collectif.

La culture, grâce à cette expérience s’est inventée un nouvel espace public convivial et ouvert à tous au Havre, participant à un rééquilibrage environnemental, social et économique pour les populations avoisinantes. Ce projet a été porté par le courage politique qui désigne la culture comme facteur prépondérant de progrès social et économique dans un contexte préoccupant. Le choix politique de la culture est une manière enthousiaste et profondément démocratique de révéler les potentiels de créativité et de vitalité d’un territoire qui en a un besoin crucial pour se développer économiquement.

LA STRUCTURE DE LA GESTION PARTAGÉE PERMET L’ÉVOLUTION, LA SOUPLESSE, LA FLEXIBILITÉ ET AFFIRME LA GRANDE DIVERSITÉ D'OFFRES, GARANTE DE SA VITALITÉ.

4. Impacts

4.1. Réponse aux objectifs

Le résultat est à lui seul très convaincant du fait du processus “bottom-up”, de la diversité et de la créativité des porteurs de projets, au final beaucoup plus riche que si la municipalité seule avait répondu aux attentes énoncées. De plus ce succès encourage le développement des compétences des acteurs du territoire et leurs idées. Le pari de la municipalité de miser sur la confiance dans leurs capacités est une réussite : elle inaugure une relation nouvelle entre la municipalité et les initiatives du territoire qui produit une augmentation de potentielles pratiques artistiques pour tous. Elle permet la professionnalisation des acteurs en créant un flux économique positif et professionnalisant. D’ores et déjà des nouveaux projets sont en émergence pour le deuxième cycle. Cette première phase de métamorphose a permis :

• L’ouverture publique d’un site de 16 000 m2 en prise directe sur un quartier de 30 000 m2 et 10 000 habitants, incluant:

  • Une construction neuve (baptisée TETRIS) comprenant un lieu de convivialité, une salle de concert, un lieu d’exposition et de fabrication artistique, une régie mobile et des studios professionnels d’artistes, une rue «traversante»;
  • La réhabilitation de soutes militaires (baptisées SONIC) en cinq locaux de répétition musicales, une salle pédagogique et un centre de ressources;
  • La mise en cohérence d’un site comprenant : l’accueil de plasticiens artistes sonores et scénographe dans les alvéoles, deux écoles de musique (jazz, expérimentales musiques du mondes), un studio d’enregistrement son et image, deux lieux d’hébergements collectifs et d’ateliers associatifs, le service municipal des archives de la ville, un groupement d’employeur, des jardins partagés;
  • L’aménagement du site et de ses abords : voierie, éclairages, espaces verts…

• Une cartographie minutieuse de projets artistiques et culturels à venir sur le quartier.

La municipalité ainsi que deux associations du collectif ont été maître d’ouvrage des trois chantiers principaux comportant des constructions nouvelles, de la réhabilitation d’une partie des soutes, de l'aménagement des accès au site et de sa mise en conformité aux normes de sécurité. Les conventions d’occupation ont été écrites ensemble avec la totalité des organisations, et acceptées par la municipalité. Le Centre social a été l’acteur moteur de mobilisation des habitants. Le Fort de Tourneville est un modèle de politique territoriale participative sur une vaste échelle, réunissant de multiples acteurs qui, loin de se freiner, en ont fait une dynamique opérationnelle.

4.2. Impact global

Le premier impact est l’expérience d’une nouvelle posture de la municipalité qui a clairement souhaité innover en matière de gouvernance. Des modalités nouvelles de dialogues et de clarification des responsabilités de chacun se sont mises en place. La Ville s’est positionnée aux côtés des acteurs sans se substituer à eux. Un poste a été créé en interne à la municipalité : l’agent «co-constructeur». Le processus a demandé une transversalité des services.

LE RÉSULTAT EST A LUI SEUL TRÈS CONVAINCANT DU FAIT DU PROCESSUS “BOTTOM UP”, DE LA DIVERSITÉ ET DE LA CRÉATIVITÉ DES PORTEURS DE PROJETS, AU FINAL BEAUCOUP PLUS RICHE QUE SI LA MUNICIPALITÉ SEULE AVAIT RÉPONDU AUX ATTENTES ÉNONCÉES.

Le processus a été l’occasion pour les acteurs du territoire d’une importante acquisition de compétences. Expérience interne d’un fonctionnement nouveau pour les agents culturels. Ce site est devenu un lieu fédérateur et dynamisant pour la scène artistique et culturelle havraise. Il est le témoin que ce type de méthodologie est possible. Il rend possible et accessible une professionnalisation des jeunes qui souhaiteraient aborder un métier du champ culturel. La dynamique de ce site développe le goût pour les pratiques sur et en dehors du site (des partenariats nouveaux entre associations et institutions le démontrent).

Le fait de s’appuyer sur les acteurs du territoire a permis de créer un mouvement stimulant dans un esprit créatif. Le projet constitue une marque de reconnaissance qui ouvre les possibles et donne envie de rester dans la ville. Il permet à la ville d’être vue par l’extérieur comme dynamique et altruiste. Ce projet a permis de créer un sentiment de fierté et d’appartenance des habitants à leur territoire. Le site et ses modalités de fonctionnement créent l’attraction d’une population créative.

En affirmant qu’elle est là pour rendre possible les choses, la ville affirme sa volonté de stimuler la créativité et la création sur le territoire dans tous les domaines. Cela fait résonner une tonalité nouvelle qui incite les acteurs du développement à investir son territoire. Par les compétences rassemblées sur le Fort, par les actions développées, par l’image de la ville, le lieu peut attirer dans la ville des activités économiques nouvelles liées au design la mode l’informatique le cinéma la photo le tourisme. De fait ils trouveront dans le site militaire transformé, un lieu en affinité avec leurs pratiques culturelles en complément d’un site naturel très attractif (mer littoral lumière).

5. Informations relatives

La Ville du Havre a été candidate à la première édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (janvier-mai 2014). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2014 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en œuvre de l’Agenda 21 de la Culture.

Texte approuvé en septembre 2014.

Bonne pratique publiée en octobre 2014.

Cette fiche a été réalisée par Fazette BORDAGE, déléguée exécutive à la culture de la Ville du Havre.

Contact: fazette.bordage (at) lehavre.fr

Site web: http://positiveeconomy.co/video/tighten-social-link-thanks-culture/

http://www.lehavre.fr/multimedia/le-fort-de-tourneville-la-culture-a-vivre

www.fortdetourneville.com

«Construire ensemble»,la transformation d'un site militaire en site multiculturel au Havre