La culture et la mobilisation citoyenne comme stratégie de revitalisation territoriale à Saint-Camille

Contexte

Saint-Camille est une municipalité rurale de 524 habitants située dans la Municipalité Régionale de Comté (MRC) des Sources, dans la province du Québec, Canada. La ville a connu au cours du 20ème siècle une décroissance continue de sa population et une érosion de son tissu socioéconomique, contribuant à l’exode de sa population vers les centres urbains. Constatant cette lente agonie, des citoyens se sont mobilisés dans les années 1980-90 pour rénover et redynamiser plusieurs des bâtiments patrimoniaux laissés à l'abandon. C’est ainsi qu’un magasin général a été transformé en 1988 en centre culturel et communautaire « Le P'tit Bonheur de Saint-Camille », devenu par la suite un catalyseur des mobilisations locales.

Au fil des ans, le village décrit comme un « village-monde » par le mensuel français Le Monde diplomatique, se distingue par un leadership partagé et une gouvernance horizontale. Les succès s'enchaînent et la ville parvient à attirer de nouveaux résidents, qui contribuent à leur tour à la vitalité hors du commun de cette collectivité

Les politiques de développement de la ville s'articulent toutes autour d'ingrédients communs: des temps de rencontre et de réflexion, une vision partagée, et des partenariats avec des organizations qui partagent ce même engagement.

Saint-Camille et la culture

Les années 1980 ont été une période charnière pour le développement de Saint-Camille, marquées par la création du club local « Le Groupe du Coin », afin de lutter pour la préservation et la réhabilitation des bâtiments patrimoniaux vacants. Cela se concrétise en 1988 par la fondation du P’tit Bonheur, organisme communautaire et culturel qui deviendra la pierre d'assise du développement culturel et de la mobilisation locale à Saint-Camille.

Après plus de 20 années passées à développer des projets innovants en collaboration avec les habitants, la ville de Saint-Camille s'est dotée en 2008 d’un plan de développement durable, passant d’un développement urbain organique à un développement plus intégré à toutes les échelles de gouvernance régionale, et notamment l'Agenda 21 de la MRC des Sources. Plus récemment, Saint-Camille a adopté une Politique culturelle et ratifié une entente de développement culturel avec le ministère de la Culture et des Communications du Québec, devenant la plus petite municipalité au Québec à mettre en œuvre une telle entente.

En parallèle, des temps de réflexion sont organisés avec les citoyens sur le développement communautaire et culturel et sur l’économie rurale de petite échelle. L’organisation de spectacles, de repas communautaires et de formations universitaires ont favorisé l’engagement bénévole, particulièrement des aînés, et permis de transmettre des valeurs comme la tolérance et la solidarité.

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

Le projet cherche à faire de la culture et de la participation citoyenne des éléments clef de la revitalisation de Saint-Camille, commune rurale, afin de renforcer son attractivité et contrer l’exode de la population et la baisse démographique.

Développement du projet

La stratégie de revitalisation de Saint-Camille à travers la culture se divise en trois grandes phases de développement : la mise en place d'organisations structurantes, la mobilisation autour de l'enjeu démographique et, plus récemment, le développement d'une nouvelle économie rurale.

Phase 1 — la mise en place d'organisations structurantes :

Le Groupe du coin

Au début des années 80, face à la détérioration du tissu socioéconomique local, plusieurs leaders locaux issus des milieux politique, culturel, social et économique de Saint-Camille se regroupent au sein d'un club privé d'investissement éthique, le « Groupe du coin », conçu dans le but de trouver de nouveaux usages à des bâtiments patrimoniaux laissés vacants. Le Groupe du coin acquiert ainsi l'ancien magasin général et offre le lieu au P'tit Bonheur de Saint-Camille, un organisme communautaire et culturel. Le Groupe du coin participera ensuite à la conversion de l'ancien presbytère en coopérative d'habitation pour les aînés (2000) et ses membres seront impliqués de près dans la création d'une Corporation de développement (1995) et d'une coopérative maraîchère (2003).

Le P'tit Bonheur de St-Camille

Depuis 1988, le P'tit Bonheur participe à l'animation culturelle locale à travers une programmation de spectacles et d'activités communautaires et intergénérationnelles. En plus de ses 20 000 visiteurs annuels, le projet implique une centaine de bénévoles. Dès sa fondation, le P'tit Bonheur a fait fi des probabilités de viabilité d'un centre culturel établi dans un village d'à peine 500 habitants, en développant des moyens originaux d'autofinancement. Ainsi “la pizza du vendredi”, concoctée depuis plus de 30 ans par des bénévoles, permet à l'organisme de s'autofinancer à hauteur de 80 %.

Lieu de rencontre et de convivialité pour les résidents et les visiteurs, le succès du P'tit Bonheur a instauré un climat particulièrement favorable à la culture. De nombreuses initiatives lui ont succédées, telles qu'un musée d'objets anciens, un festival international du masque, des concerts classiques, une académie de musique ancienne, un regroupement d’artistes ruraux, un atelier d'art, du théâtre amateur, et des échanges internationaux avec des communautés du Mali.

Enfin, le P’tit Bonheur, par un de ses volets d'activité, le Centre d’innovation en milieu rural (CIMR), entretient des liens étroits avec le milieu de la recherche.

Phase 2 — la mobilisation autour de l'enjeu démographique :

Au cours des années 2000, la ville s’est trouvée face à un creux démographique historique de 440 habitants qui a mis en danger la survie de l'école primaire. Ainsi l’objectif a été fixé d'accroître la population de 10 % en 10 ans. C’est dans ce but qu’est né le projet “Les Fermettes du rang 13” sur un terrain boisé de 300 acres, non-desservi par des réseaux électriques et de télécommunication, à 7 kilomètres du village. Accueillies par les acteurs locaux, 25 familles ont constitué une coopérative pour lotir le terrain, construire les chemins d'accès et le desservir par un réseau électrique et la fibre optique, Ce projet a permis de domicilier 80 nouveaux habitants, dont plus de 30 enfants et des entrepreneurs qui ont redynamisé l’économie locale, générant une croissance démographique de 14,4% entre 2006 et 2011. L'âge médian du village est même passé en dessous du niveau de la province.

Phase 3 — le développement d'une nouvelle économie rurale :

En 2006, suite à la baisse du nombre de pratiquants, le conseil de la Fabrique de la paroisse catholique n’a plus été en mesure d’assumer l'entretien de l'église à moyen terme. Le processus de réflexion sur la transformation de l'église a duré 10 ans, le temps de trouver une nouvelle vocation au bâtiment et financer les travaux de rénovation nécessaires. La population a été consultée et informée à chaque étape importante lors de 5 forums municipaux et 7 assemblées publiques.

Après une remise à jour des usages du patrimoine bâti, la municipalité a acquis l’église en 2016 afin d’en faire un centre multifonctionnel, et a engagé des travaux à hauteur de $1,2 million, financés aux 2/3 par les gouvernements fédéraux et provinciaux. 8 organisations locales, dont la municipalité et le P'tit Bonheur, se sont également associées pour la création d’une coopérative pour développer une nouvelle offre de service. La coopérative propose aujourd'hui des services complets d’accueil de groupes et d'événements, ainsi qu’une riche programmation culturelle.

En 2017, le P'tit Bonheur a coordonné un important virage technologique pour la communauté avec la mise en œuvre d’un nouveau projet, unique au monde, développé par la Société des arts technologiques de Montréal, le réseau « Scènes ouvertes », qui consistait en l’implantation d'équipements de téléprésence et de webdiffusion au sein de 21 diffuseurs culturels. Avec le concours de 13 partenaires, le centre du P’tit Bonheur et l'ancienne église ont été raccordés à un Internet très haut débit dans l'objectif de développer un pôle numérique de diffusion, de formation et d’animation en art, culture et développement local intégré.

Le dynamisme local favorise ainsi le développement de nouvelles activités économiques, notamment dans le tertiaire supérieur et l'économie créative, telles qu’une entreprise de production d’émission de télévision jeunesse diffusée à la télévision nationale ; la mise en place d'un centre de recherche sur les cultures émergentes au Canada ; un centre de congrès en milieu rural, qui propose des d'événements interrégionaux grâce à la téléprésence.

Impacts

Impacts directs

Impact sur le gouvernement local

Grâce à ses activités en médiation culturelle et communautaire, Saint-Camille a acquis une forte notoriété, et amorcé un cercle vertueux qui s’est confirmé dans les élaborations successives de la politique familiale et le plan de développement durable (2008), la politique des aînés (2012), la politique de l'arbre (2016) et la politique culturelle (2017).

Les projets pilotes lancés dans le cadre des collaborations avec le secteur académique ont rehaussé la qualité de vie et l'attractivité locale.

Les initatives successives de revitalication de Saint-Camille ont transformé complètement la situation démographique (+14,1%) et généré de nombreux emplois et des investissements majeurs pour la commune.

Impact sur la culture et les acteurs culturels de la ville

La reconnaissance de la vitalité des acteurs locaux génère des investissements significatifs pour les acteurs culturels. Le montant per capita octroyé dans le cadre de l'entente de développement culturel avec le ministère de la Culture et des communications est 47 fois plus important à Saint-Camille que dans le reste de la région de l'Estrie.

Impact sur la ville ou le territoire et sa population

La croissance de la population de 14 % en 7 ans avec l'établissement de 25 nouvelles familles a eu un impact direct sur la fréquentation de l'école, avec l’ouverture d’une nouvelle classe. De nombreux entrepreneurs et entreprises se sont aussi établis sur le territoire grâce à l'avènement d'Internet haute vitesse et du télétravail.

Évaluation

La culture est aujourd'hui intégrée aux politiques de développement local, telles que la politique culturelle et la stratégie de développement local, en tant qu'expression de l'identité locale et du sentiment de fierté et d’appartenance des Camillois, tout autant qu'outil d'autodétermination, de mobilisation et de développement. La prochaine phase de développement entend s’inspirer de ces avancées afin de développer des mécanismes plus élaborés d'évaluation des résultats. Saint-Camille entreprend notamment une démarche d'aménagement culturel du territoire (2019) qui sera intégrée à la planification urbanistique en développement (2019).

Les retombées économiques et sociales de la politique de revitalisation ont renforcé le rôle de la culture aux côtés des autres piliers du développement durable.

Facteurs clef

Par essence, les succès rencontrés par la communauté rurale et agricole de Saint-Camille ont tenu à sa capacité à faire preuve au fil du temps de créativité et de solidarité pour trouver des réponses innovantes aux défis qu’elle a rencontrés, et à se questionner et à redéfinir ses priorités et ses modes d’action, en restant ouverte aux nouvelles idées et possibilités qui s’offraient à elle.

La tenue de nombreuses activités de médiation culturelle et communautaire, formelles et informelles, a également permis de relever le défi d'accueil et d'intégration d'une grande proportion de nouveaux arrivants à Saint-Camille tout en perpétuant les valeurs de la communauté et la mobilisation locale.

Continuité

Depuis les lancements des différents projets, un financement récurrent est dédié aux acteurs culturels grâce à une entente de développement culturel, représentant à elle seule un investissement annuel de 47$ par habitant à Saint-Camille jusqu'en 2020.

Information relative

La Ville de Saint-Camille a été candidate à la troisième édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (novembre 2017-mai 2018). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2016 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en œuvre de l’Agenda 21 de la Culture, et comme mention spéciale de la troisième édition du Prix.

Cette fiche a été réalisée par Olivier Brière, Agent de développement à Saint-Camille, Québec, Canada.

Contact : info@corpo-st-camille.ca

Sites web de référence : www.saint-camille.ca / www.corpo-st-camille.ca / www.ptitbonheur.org

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