JE SUIS… / Reconstruire sa communauté par la médiation culturelle, Vaudreuil-Dorion

1. Contexte

Situé au Canada près de Montréal, Vaudreuil-Dorion dénombre 37 000 citoyens. La communauté connait de profondes transformations. Variation de 1994 à 2014 (Statistique Canada) :

  • Nombre d’habitants + 115 % (17 000 à 37 000) ;
     
  • Nombre d’immigrants de 5 % à 48 % ;
     
  • Nombre de communautés culturelles de 10 à 92 ;
     
  • En 1994, 80 % des citoyens parlent français chez eux contre 60 % aujourd’hui ;
     
  • Les citoyens vivant avec un faible revenu passe de 16 % à 8 % ;
     
  • Taux de chômage de 7,2 % à 2,3 %.

Alors que l’économie s’améliore, la cohésion sociale disparait peu à peu. Tension interculturelle, chute du sentiment d’appartenance, il faut agir pour que cette situation ne devienne pas problématique. L’arrivée du nouveau directeur du Service des arts et de la culture, Michel Vallée, en 2009 donnera l’élan pour la naissance de JE SUIS…, projet global en médiation culturelle, concept à peine naissant au Canada.

Avec cette explosion démographique, Vaudreuil-Dorion devient une communauté composée en grande partie de jeunes familles (depuis 5 ans, la ville est une des municipalités canadiennes où naissent le plus d’enfants). En 10 ans à peine, le français a pris un net recul laissant près de la moitié des langues parlées à l’anglais, l’hindi (Inde) ou l’ourdou (Pakistan) par exemple. Le directeur du Service des arts et de la culture a reçu les commentaires de résidents et d’artistes : « Je ne me reconnais plus dans ma Ville même si j’y suis depuis 50 ans. J’ai peur. Dans deux ans je déménage. ». « Je n’ose plus aller vers vous (les Québécois d’origine) car je sais que mes différences vous dérangent. ». « Je me suis longtemps donné pour ma communauté, mais tout a changé et les gens ne savent même plus qu’il y a des artistes dans leur ville. ».

Je Suis… intègre la médiation culturelle comme philosophie d’action dans l’angle du développement durable.

Comment relever le défi de la diversité culturelle ? Comment offrir une communauté créative, unie et forte? Les élus ont rapidement adhéré à une recommandation : appliquer la culture comme 4e pilier du développement durable pour rassembler la communauté et parvenir à un vivre-ensemble harmonieux. Le programme JE SUIS… s'inscrit comme le premier axe structurant d'une réorientation majeure de la ville en matière de culture. Ce qui a motivé le projet : la volonté de contrer la peur des différences et des ghettos par la rencontre, la connaissance de l’autre et le respect des différences.

En quelques 20 années, la petite communauté canadienne de Vaudreuil-Dorion a été transformée passant de 17 000 à 37 000 citoyens. Depuis les dernières années, ce sont 2 000 nouveaux résidents qui joignent, annuellement, les rangs de cette communauté. Venus de partout sur la planète, ces nouveaux citoyens arrivent avec leurs langues et leurs cultures. Depuis cinq ans, Vaudreuil-Dorion figure dans le peloton de tête des municipalités canadiennes où naissent le plus d’enfants. Physiquement, l’économie explose avec l’arrivée de grandes compagnies et d’une multitude de commerces à grande surface. Toutefois, l’esprit de communauté et le sentiment de fierté et d’appartenance semblent disparaître. Comment faire en sorte que cette situation ne devienne pas conflictuelle voire explosive ? Comment relever le défi de la diversité culturelle ? Comment réunir pour mieux construire ?

Les élus de Vaudreuil-Dorion ont choisi de miser sur la culture pour répondre à cette problématique. En 2010, le programme JE SUIS… naissait. L'objectif : s’appuyer sur la culture pour créer un sentiment d'appartenance et favoriser l’émergence d’une communauté unie, fière d'appartenir à un milieu où la différence est une richesse. Chaque année, 20 000 citoyens participent à quelque 600 ateliers qui s’articulent en 50 activités phares. Le but : créer la rencontre, la connaissance de l’autre et le respect des différences par une participation citoyenne active à la création, à l'acte culturel et à la réinvention de sa communauté. Ici, les citoyens se côtoient, interagissent ensemble et apprennent à se connaître. Afin d'offrir à la communauté un outil efficace de reconstruction de la cohésion sociale, des activités créatives et culturelles sont également organisées dans tous les secteurs de la société avec plus d’une soixantaine de partenaires de tous les milieux (culture, santé, communautaire, affaires, loisirs, etc.).

Avec JE SUIS… Vaudreuil-Dorion transforme la culture en outil de cohésion globale.

2. Vaudreuil-Vaudrion et la culture

Voir sa communauté complètement transformée en 20 ans laisse des séquelles. L’inquiétude s’installe. C'est pourquoi, avant d'entreprendre la révision de sa politique culturelle créée en 1998, la Ville choisit de l’insérer dans une stratégie de reconstruction du lien social. Ce plan permet de conduire les citoyens jusqu’à un Agenda 21 de la culture. L’objectif : réunir avant de consulter.

2009-2010 : La table de concertation du milieu culturel nait. Les différents secteurs sont rencontrés (économie, santé, social, éducation, etc.) Le programme JE SUIS… voit le jour. La directrice générale de la Ville réunit tous les employés pour qu’ils s’approprient la démarche.

2012-2013 : Avec l’appui d’une université, des travaux pour créer la première cellule régionale d’innovation en médiation culturelle au Québec (outils, formation, accompagnement) débutent. La politique culturelle locale est révisée dans l’esprit de l’Agenda 21 de la culture.

Elle a été créée en prenant soin d’impliquer toutes les sphères d’activités de la communauté pour favoriser la transversalité, par exemple via un comité culture-affaires et de formations offertes au milieu culturel pour saisir les enjeux des autres secteurs. « La culture à laquelle nous nous référons est faite de mémoire, de présence (l’existence) et de projets. (….) De présence, car la culture devient cette relation quotidienne qui s’exerce entre les citoyens et leur milieu de vie. Une relation qui évolue et permet aux différences de chacun de devenir l’unicité de la communauté. De projets, car la culture est ce qui permet aux acteurs culturels et aux citoyens de contribuer à ce que notre société prenne conscience d’elle-même, s’apprécie, se critique, évolue et s’ouvre à de nouvelles dimensions. »

Au sein des activités de création participative se matérialisant par des manifestations festives d'ampleur, le citoyen devient un véritable acteur culturel, créant des espaces de convivialité et d'échange.

2013 À 2015 : Mise en œuvre du plan d’action de la politique culturelle.

2014 À 2018 : Lancement des travaux pour l'élaboration d'un Agenda 21 de la culture locale.

3. Objectifs et mise en œuvre du projet

3.1. Objectif global et spécifiques

Le programme a pour objectif de recréer et de renforcer le sentiment d'appartenance ainsi que la cohésion sociale par des activités culturelles génératrices de sens et de nouveaux liens sociaux. Il vise à faire participer la population à des activités créatives et culturelles afin :

  • de leur permettre de devenir de véritables acteurs et citoyens culturels dans leur ville;
     
  • de s'exprimer, de se rencontrer, de mieux connaitre l'autre et ses différences;
     
  • de leur permettre de se sentir appartenir à ce milieu;
     
  • de créer un milieu de vie commun et partagé à nouveau par et pour tous.

Pour les citoyens

  • Encourager la rencontre avec l’artiste favorisant l’apprentissage, l’implication et l’influence;
     
  • Offrir aux citoyens de repenser leur ville avec les artistes comme mentor (création collective et participative de fresques, sculptures, chorégraphies, pièces de théâtre, poésies, etc.);
     
  • Permettre aux personnes fragilisées par un état ou une différence de briser leur isolement et de se bâtir un réseau.
     
  • Pour les artistes et les acteurs culturels
     
  • Permettre aux artistes de franchir les préjugés qui les séparent de leur communauté;
     
  • Permettre de se faire connaître et d’entrer en interaction avec leurs concitoyens.

3.2. Un projet s’inscrivant dans l’Agenda 21 de la culture

JE SUIS… relève le défi de la diversité culturelle et facilite un vivre-ensemble harmonieux. Il reconnait la richesse de la diversité culturelle sur son territoire et cherche à mettre en place des conditions favorables à la paix et à la cohésion sociale. Il s’appuie sur la diversité créative,

reconnait l'apport de toutes les cultures à la construction du lien social et culturel et favorise la participation des citoyens de toutes origines, en vue d’un épanouissement individuel et collectif dans la ville. En favorisant les espaces intercommunautaires de rencontres et de création, le programme favorise la résolution des conflits interculturels et une coexistence harmonieuse.

Le programme vise à permettre à tous les citoyens, de toutes origines, âges, conditions socio-économiques et sans discriminations à participer activement à la vie culturelle et à la création pour faire profiter à tous des bienfaits sociaux et culturels des processus créatifs. La liberté culturelle est au cœur du programme. Au sein des activités de création participative se matérialisant par des manifestations festives d'ampleur, le citoyen devient un véritable acteur culturel, créant des espaces de convivialité et d'échange. Tous les espaces publics sont investis. Les 600 actions annuelles sont offertes là où ils vivent (rues, écoles, parcs, cliniques, commerces, résidences pour aînés, etc.) afin de créer des espaces de diversité créative où la confluence des différences permet l'épanouissement de la personne et de la communauté.

JE SUIS… favorise la cohésion sociale, le dialogue, le sentiment d'appartenance et le développement de la communauté grâce à une imbrication et une implication de tous les secteurs (sociaux, santé, scolaires, économiques, etc.) et à une transversalité de l'action publique en matière de culture. JE SUIS... invite les créateurs à s’engager dans l’amélioration du vivre ensemble et de la qualité de vie, en développant la capacité de création et le sens critique de tous. Il donne un rôle nouveau aux acteurs culturels dans le développement social du territoire. Des liens de confiance et de réciprocité avec la population sont créés.

3.3. Actions

Pour y arriver, la Ville a créé JE SUIS..., un programme de médiation culturelle qu’elle a intégré :

  • à l’ensemble de l’appareil municipal
     
  • à l’ensemble de la communauté (politique, éducation, affaires, social, sport, loisirs, culture...)

JE SUIS… est lui-même une des phases d’un grand projet de reconstruction de la cohésion sociale à Vaudreuil-Dorion. Il intègre la médiation culturelle comme philosophie d’action dans l’angle du développement durable. Chaque année, 600 ateliers publics se déclinent sur 50 activités phares pour créer la rencontre, la connaissance de l’autre et le respect des différences. Elle a contribué grandement à l’angle que le Québec prend désormais en cette matière en intégrant le groupe de recherche universitaire et les travaux de l’Agenda 21 de la culture du Québec.

Exposition MOZAÏK

Pour lancer la démarche, 40 bénévoles de différentes communautés culturelles ont été réunis pour photographier 10 000 des 30 000 citoyens de Vaudreuil-Dorion. Une exposition extérieure jumelée à

une programmation culturelle participative a été présentée. 10 000 photos dont certaines d’environ 5m de hauteur. L'exposition Mozaïk a permis aux citoyens de ressentir l’appartenance.

Défilé MOZAÏK

1 000 citoyens accompagnés de 10 artistes conçoivent et livrent un défilé artistique unique qui se tiendra pour la 4e année en 2014. Durant ces 5 mois, chaque groupe de participants choisit un thème et travaille, avec les artistes, à la conception et à la réalisation des costumes, maquillage, chorégraphie, accessoires, etc. Cette nouvelle tradition qui réunit des citoyens de toutes cultures, âges et horizons s’expose avec fierté le 23 juin chaque année devant plus de 20 000 spectateurs.

Pour remonter jusqu’au soleil

Une démarche de plus de 5 mois avec 24 parents vivant le deuil périnatal, 4 artistes, 4 intervenants de la santé et 3 intervenants culturels de la Ville qui a donné lieu à :

  • La création d’un texte à partir de lettres écrites par les parents à leurs enfants décédés.
     
  • La création d’une sculpture où les bras tendus des parents forment l’arbre de la vie.
     
  • La présentation du texte et de l’œuvre devant public (250 citoyens).

Les artistes du bonheur

5 jours par semaine, 12 adultes vivant avec une déficience intellectuelle travaillent sur des projets avec des artistes professionnels. Plusieurs fois par mois, des groupes issus de la communauté se joignent à eux pour vivre une expérience qui les changera à jamais. Le modèle de Vaudreuil-Dorion va plus loin en projetant les handicapés intellectuels au cœur de leur communauté.

Si Vaudreuil-Dorion m’était conté

Pendant 18 mois, une conteuse s’est promenée dans toutes les résidences pour personnes âgées afin de recueillir leurs souvenirs, de les compiler et de créer des contes à partir de ceux-ci. 350 enfants ont illustré chacun d’eux. La parole a permis de créer la rencontre et briser l’isolement.

Zone de graff

15 jeunes graffiteurs illégaux ont reçu des ateliers de graffiteurs professionnels pour, à leur tour, offrir des ateliers à des citoyens de tous âges pendant 4 mois. Les œuvres réalisées ont été exposées dans une église du 18e siècle pendant 1 mois pour créer des rencontres. Une campagne promotionnelle où les jeunes ont été photographiés avec le maire, un policier et le président de la chambre de commerce démontre que tous sont derrière eux.

La ville a contribué grandement à l’angle que le québec prend désormais en cette matière en intégrant le groupe de recherche universitaire et les travaux de l’agenda 21 de la culture du Québec.

3.4. Obstacles

Il a fallu convaincre que la volonté de la Ville n’était pas de s’approprier le travail des acteurs culturels, mais de leur donner les moyens de rejoindre la population. Les actions posées les ont ralliés. Pour mobiliser la participation des citoyens, les organismes, les institutions et les réseaux de la Ville ont été mis à contribution. Certains ont été rejoints une personne ou une famille à la fois.

4. Impacts

4.1. Impact sur le gouvernement local

Inscrits en lettres majuscules dans la volonté de changer les difficultés des dernières années en éléments contributeurs d’un vivre ensemble harmonieux, tous les services de la Ville ont travaillé ensemble pour constituer une équipe forte et efficace.

4.2. Impact sur les agents culturels de la ville

La région de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent (65 municipalités) a décidé d’emboîter le pas en créant la première cellule régionale en médiation culturelle au Québec pour former et accompagner ses municipalités. Déjà, plusieurs villes et institutions ont implanté des projets inspirés de JE SUIS... De leur côté, les organismes et institutions locaux n'attendent plus le financement de la Ville et mettent en place leurs propres actions. L'influence se transporte au Québec. Quatre régions ont demandé à l'instigateur de JE SUIS... de les former, dont la ville de Longueuil, 5e en importance au Québec.

4.3. Impact sur le territoire et sur la population

JE SUIS… transforme le territoire par l’arrivée, par exemple, d’œuvres d'art public. Ces œuvres sont maintenant réalisées en co-création avec les citoyens. La participation des citoyens n’a fait qu’augmenter depuis le lancement du programme et plusieurs témoignent que leur qualité de vie a été grandement bonifiée. Les parents s’impliquent d’avantage auprès de leurs enfants dans les activités culturelles, les personnes âgées sont un peu moins seules. JE SUIS, c’est aujourd’hui 50 activités phares, 600 ateliers publics, 20 000 participations directes et 30 000 indirectes.

4.4. Impacts transversaux

Les actions de la Ville ont contribué à une bonification de la qualité de vie qui contribue à rendre la Ville plus attirante pour les industries. Ainsi, l’investissement de 1,3 milliards de dollars de la compagnie Ericsson annoncé en juin 2013 est lié en partie à cette transformation de la Ville.

Marie-Julie McNeil du centre de santé et de services sociaux Vaudreuil-Soulanges en témoigne : « Le programme JE SUIS… a permis d’atteindre des résultats importants sur le plan de la santé et nous a montré qu’on pouvait faire les choses autrement et obtenir des résultats encore plus porteurs. Grâce aux partenariats créés nous ne travaillons plus en vase clos. Tous les sujets y ont gagné, de la santé mentale au deuil périnatal en passant par les problématiques liées à l’itinérance. En travaillant sur des sujets comme la violence faite aux femmes ou aux aînés, nous avons conscientisé la population à l’importance d’ouvrir les yeux sur les injustices. Grâce à Vaudreuil-Dorion, la médiation culturelle est devenue un outil important qui sauve des vies et reconstruit les liens sociaux. »

Le projet JE SUIS… à bénéficié de plusieurs reconnaissances dont…

  • « Pratique exemplaire », Les Arts et la Ville (2011)
     
  • Mérite Ovation de l’Union des municipalités du Québec (3 prix en 2011 et 2014 dont le prix argent)
     
  • Prix culture et développement 2011, Les Arts et la Ville
     
  • Prix Villes et Villages en santé 2013
     
  • Mérite de la Chambre de commerce de Vaudreuil-Dorion 2011
     
  • Prix Ovation Vaudreuil-Soulanges 2011
     
  • Plus de 35 conférences données au Québec et à l'international

5. Informations relatives

La Ville de Vaudreuil-Dorion a été candidate à la première édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (janvier-mai 2014). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2014 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en œuvre de l’Agenda 21 de la Culture. Vaudreuil-Dorion fait partie des huit villes-pilotes pour la rédaction du nouvel Agenda 21 de la culture.

Texte approuvé en septembre 2014.

Bonne pratique publiée en octobre 2014.

Cette fiche a été réalisée par Michel Vallée, Directeur des arts et culture de Vaudreuil-Dorion.

Contact: mvallee (at) ville.vaudreuil-dorion.qc.ca

Site web: www.ville.vaudreuil-dorion.qc.ca

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Vaudreuil-Dorion: JE SUIS… / Reconstructing a community through cultural mediation