L'impact de la diète Méditerranéenne sur le territoire de la ville de Chefchaouen

Contexte

La ville de Chefchaouen est une ville d'environ 50 000 habitants, fondée en 1471 par Mulay Ali Ben Rachid al-Alami. Elle a été bâtie à 600 m d'altitude, au pied des monts Tisouka et Meggou, qui s'élèvent au-dessus de la ville comme deux cornes, à l’origine de son nom : une combinaison de « Chouf », qui signifie « Regarde », et de « Echaouen » qui signifie « Corne » en amazighe, et désigne souvent le sommet des montagnes. « Chefchaouen » signifierait alors « Regarde les cornes », ou encore « Regarde les sommets des montagnes ». La ville de Chefchaouen est le chef-lieu et la seule commune urbaine de la province du même nom. Ce territoire, qui s’étend sur 1 040,5 hectares, est marqué par une forte ruralité, avec 90 % de la population vivant en zone rurale. Il englobe, en plus des territoires ruraux, l’ancienne ville, la ville nouvelle, et les arrondissements d’Aïn Haouzi, Al Ayoun et Adrar. Cette perle bleue attire de nombreux touristes désireux d’explorer la nature et de découvrir la culture locale de la ville.

Chefchaouen et la culture

Avec l’exode rural et la fuite de la population vers les plus grandes villes, Chefchaouen est confrontée à un déficit de ressources humaines et au dépeuplement des campagnes rurales alentours. Cela met en danger la préservation de la culture locale et de son terroir.

Chefchaouen est reconnue depuis 2010 comme Communauté Emblématique de la Diète Méditerranéenne au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, aux côtés des villes de Soria (Espagne), Koroni (Grèce) et Cliento (Italie) et d’autres villes du Portugal, de Croatie et de Chypre.

Le concept de Diète Méditerranéenne rassemble l’ensemble des savoir-faire, connaissances, traditions et pratiques agronomiques, socioculturelles et culinaires des pays méditerranéens. Elle intègre aussi les paysages, les ressources naturelles, la biodiversité et leur gestion durable et responsable, ainsi qu’à une échelle encore plus larges les domaines de la santé, du bien-être, de l’hospitalité et de la créativité.

Les traditions et symboliques y sont toujours très vivantes et transmises de générations en générations (pratiques alimentaires, sociales et de célébration). Cela implique que les acteurs locaux fassent vivre ce patrimoine, soient moteurs du développement local, et que les habitants puissent vivre en accord avec cette identité culturelle. Les activités menées par la ville de Chefchaouen pour le développement s'inscrivent dans la continuité de la Nouvelle Charte Communale, approuvée en 2009, qui mets l’accent sur les compétences des municipalités, la planification stratégique, la concertation avec la société civile et l'intervention des gouvernements locaux dans le développement économique local.

A ce titre, la ville de Chefchaouen a pour missions de sensibiliser les jeunes générations à l’importance de la nutrition et à la richesse de leur patrimoine alimentaire, et de renforcer les capacités des coopératives de produits du terroir et des points d’alimentation locaux.

La notion de diète Méditerranéenne portée par la ville de Chefchaouen désigne unstyle de vie complet, "de la table au paysage".

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

L’objectif principal du projet est de contribuer au développement de la ville à travers la valorisation de l’art culinaire locale et des produits artisanaux, afin de réconcilier les habitants avec leur identité.

Son objectif plus spécifique est de promouvoir « Chaouen » comme destination touristique, à travers les produits de son terroir et la conservation de son patrimoine. Il s’agit aussi de moderniser et structurer la gestion des ressources, afin qu’elles deviennent des sources de revenus pérenne, d’équilibre territorial et d’attractivité.

Développement du projet

Principales actions réalisées

La municipalité de Chefchaouen a mis en oeuvre de nombreuses actions visant à la préservation et la valorisation de la Diète Méditerranéenne. Afin de favoriser les dynamiques de développement territorial intégré, ce plan d’action est construit autour de quatre axes :

1. Préservation et valorisation des patrimoines

  • Création du Musée de la Diète Méditerranéenne
  • Élaboration de la banque de la Biodiversité
  • Réhabilitation et valorisation des fours à pain traditionnels et des moulins à grain
  • Appui à la structuration de filières de produits du terroir et d’artisanat encore peu valorisé
  • Développement des circuits touristiques dans la Médina
  • Identification d’un Réseau de Tourisme Créatif

2. Renforcement des capacités

  • Mise en place d’une Marque de Qualité Territoriale
  • Renforcement des capacités des coopératives de produits du terroir et des artisans locaux
  • Création d’un réseau de coopératives pour améliorer les conditions de commercialisation
  • Évaluation du projet Souk Beldi, dans l’objectif de le relancer
  • Création d’un centre de la Diète Méditerranéenne

3. Sensibilisation et communication

  • Création d’ateliers de sensibilisation à la Diète Méditerranéenne et à la Nutrition dans les écoles
  • Élaboration d’un Festival annuel “Journée de la Diète Méditerranéenne”
  • Création d’une page internet dédiée sur le site de la municipalité
  • Édition d’un livre sur les patrimoines de la Diète Méditerranéenne

4. Gouvernance

  • Lien avec le milieu académique et de la recherche
  • Élaboration d’un comité de Suivi
  • Intégration de la Commune de Chefchaouen au sein du Groupe Européen de coopération Territoriale.

Ce projet s’inscrit dans une coopération multilatérale avec de nombreux partenaires, comprenant des chercheurs, des villes et des acteurs locaux, parmi lesquels : l’Université de Grenade (signature d’une convention de recherche et de collaboration); les 6 communautés emblématiques; le Ministère de la Culture; les délégations de l’Artisanat, du Tourisme, de l’Agriculture, et des Eaux et Forêts; coopératives; associations culturelles; associations hôtelières; restaurateurs engagés.

Impacts

Impacts directs

Impact sur le gouvernement local

Le gouvernement local a joué un rôle fédérateur autour du concept de « Cultiver la Culture », afin d’en faire une source de revenus, d’appartenance et de dialogue.

Ce projet, dans lequel les habitants se reconnaissent et s’identifient, a permis d’améliorer la cohésion sociale, de rapprocher les citoyens de l’administration, et une plus grande proximité avec le maire et ses consellers. Le Maire de la Ville a été élu Président de l’Association Marocaine des Eco-Villes (AMEV).

À travers la culture du respect de l'autre, de sa créativité et diversité, ce projet a renforcé la cohésion sociale sur le territoire, mais aussi avec les autres villes, revendiquant cette culture Méditerranéenne ancestrale et héritée des ancêtres "Andalous".

Ce projet a été développée dans une démarche de coopération et de dialogue:

  • Coopération horizontale : dialogue, avec les communes rurales environnantes, la société civile et les structures institutionnelles agissant sur ce territoire.
  • Coopération verticale : coopération entre la Province de Chefchaouen, le Ministère de la Culture, d’autres ministères (délégations) et le Ministère de l’Intérieur du Maroc.
  • A l’échelle internationale : Cette initiative de l’UNESCO est portée par un réseau de villes international.

Impact sur la culture et les acteurs culturels de la ville

Ce projet a permis la revivification d’un artisanat et d’arts de vivre locaux, et la reconnaissance de la créativité de la société civile structurée pour attirer à la fois les artistes et les investisseurs.

Les coopératives de femmes produisant des produits se sont multipliées, structurées, professionnalisées et mises en réseaux pour générer une masse critique et offrir une compétitivité. Les jeunes acteurs culturels ont développé de nouveaux talents autour des évènements liés au projet : photographie, peinture, technologies de transmission et d’information.

Avec ce projet, la Culture a été perçue comme un élément générateur de vie, et de soutenabilité des traditions, rites et rituels ruraux ou urbains ancestraux, en lien avec l’art culinaire. La sagesse et les connaissances ancestrales ont été remises à jour et diffusées grâce aux outils technologiques.

Impact sur la ville ou le territoire et sa population

Les bénéficiaires de ce projet sont principalement les populations rurales et paysannes, en interaction avec les habitants urbains impliqués dans le circuit du projet (artisans, commerçants, restaurateurs, préservation du bâtiment). Les liens urbain-rural s’en sont trouvés renforcés, en terme de reconnaissances des cultures de chacun, mais aussi de complémentarité économique.

Les femmes ont particulièrement bénéficié des formations, des réseaux et du label territoirial. Les jeunes, et les habitants en général qui ont vu renaître leur culture et leur identité, ainsi que les visiteur, marocains et étrangers, sont également considérés comme des bénéficiaires indirects. En redynamisant l’attractivité de la région, le projet a minimisé l’impact de l’exode rural. Il a aussi permis le développement d’une nouvelle forme de tourisme responsable, induisant un changement de mentalité dans un environnement territorial marqué par la cannabiculture, et l’adaptation des infrastructures touristiques rurales aux standards internationaux.

La ville de Chefchaouen a aussi acquis une meilleure visibilité dans les réseaux internationaux, facilitant sa communication et son marketing territorial autour du tourisme responsable, du bio et du commerce équitable.

Les femmes, les jeunes et les habitants des zones rurales sont les principaux bénéficiaires de ce projet qui a servi à renforcer la cohésion sociale et à réaffirmer l'identité des habitants du territoire.

Évaluation

Trois éléments permettent de mesurer l’impact de ce projet sur la ville de Chefchaouen :

  • La richesse de la société civile, à travers la multiplication des associations culturelles en nombre et en qualité des thématiques développées ;
  • L‘ouverture du Musée de la Diète Méditerranéenne avec l’appui des acteurs locaux et financiers ;
  • L’implication et l’attractivité générées par ce projet au sein des réseaux et autres villes en coopération avec la ville de Chefchaouen.

Facteurs clefs

  • Reconnaissance par l’UNESCO, et invitation de la ville de Chefchaouen de par le monde pour présenter et échanger ses expériences dans le domaine de la culture ;
  • Attractivité touristique de la ville, et notamment la forte fréquentation par les touristes des restaurants utilisant les produits du terroir ;
  • La bonne image et la forte demande des produits agricoles provenant du territoire de Chefchaouen.

Continuité

L’ampleur prise par ce projet a justifié la création d’un Forum International de la Diète Méditerranéenne. Organisé au dernier semestre 2016, c’est une plateforme d’échange citoyen entre les villes concernées, experts, acteurs et société civile.

En savoir plus

La Ville de Chefchaouen a été candidate à la troisième édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (novembre 2017-mai 2018). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2016 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en oeuvre de l’Agenda 21 de la Culture, et comme mention spéciale de la troisième édition du Prix.

Cette fiche a été réalisée par, Abdelali Elbakali, Chefchaouen, Maroc

Contact : elbakali1961mail.com
Site web : www.chefchaouen.ma

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