La citoyenneté culturelle pour une ville ouverte et diversifiée

1. Matera et la culture

Matera est une ville du sud de l’Italie qui compte 62 000 habitant·e·s. Elle a connu une histoire fascinante, faite de revirements au cours des 60 dernières années : de « honte de l’Italie », déclarée dans les années 50 en raison des mauvaises conditions de vie des habitant·e·s qui surpeuplaient les quartiers creusés dans la roche, elle est devenue en 1993 l’une des premières villes italiennes à entrer sur la « liste du patrimoine mondial » en raison de la parfaite adaptation de son architecture vernaculaire à son écosystème géomorphologique. Pourtant, avant de lancer le programme de « citoyenneté culturelle » avec la candidature au titre de Capitale européenne de la culture (CEC) en 2014, la ville a dû faire face à un certain nombre de défis : les citoyen·ne·s de Matera n’étaient pas encore conscient·e·s de la valeur particulière de son patrimoine et n’avaient pas confiance en leur capacité à transformer la ville. En outre, comme de nombreuses villes de taille petite ou moyenne, Matera a importé la culture fournie principalement par les grandes villes.

Le défi de la « citoyenneté culturelle » lancé dans le cadre de la candidature de l’ECoC visait à prouver que même les petites villes peuvent produire de la culture en adoptant un modèle horizontal et participatif, basé sur une mobilisation croissante des citoyen·ne·s, dans une région marquée par une faible participation culturelle.

Le programme de citoyenneté culturelle a couvert l’ensemble du processus menant à l’année de l’ECoC (2012-2019) et a été mené par la ville de Matera avec les institutions les plus importantes de la région par le biais de la Fondation Matera Basilicata 2019. Ses priorités et ses méthodes s’inscrivent dans le cadre des politiques de développement de la ville de Matera qui mettent l’accent sur l’ouverture, l’accessibilité, l’intégration et la citoyenneté culturelle.

L'objectif est d'assurer un large accès à la culture afin d'encourager une éthique permettant aux citoyen·ne·s de devenir des acteurs, des fabricants et de co-créateurs et co-créatrices de leur ville en constante évolution.

 

2. Objectifs et mise en oeuvre du projet

2.1. Objectifs principaux et spécifiques

L’objectif premier est de promouvoir la citoyenneté culturelle, en garantissant un large accès à la culture pour « encourager une éthique par laquelle les citoyen·ne·s peuvent devenir les concepteurs, les fabricants et les cocréateurs et cocréatrices de leur ville en évolution ». Le programme met l’accent sur le rôle actif que les citoyen·ne·s peuvent jouer en contribuant à changer et à repenser la ville. En ce sens, Matera adopte le modèle de culture ouverte issu du mouvement open-source, basé sur le principe du partage, de l’échange et de l’ouverture, qui peut générer de nouvelles formes de culture.

Les objectifs spécifiques sont les suivants :

  • Promouvoir le « droit à la ville », en tant que « droit de prendre part au changement de la ville » en encourageant les pratiques participatives ;
  • Garantir les droits culturels en supprimant les obstacles à l’accès à la culture et à la participation civique, en particulier pour les personnes socialement et culturellement exclues ;
  • Améliorer le bien-être et l’autonomisation au niveau individuel et collectif ;
  • Promouvoir un nouveau modèle de production culturelle basé sur la co-création et les pratiques participatives et renforcer la scène culturelle locale.

 

2.2. Développement du projet

L’implication du plus grand nombre de citoyen·ne·s est l’objectif intégré de ce programme, avec une attention particulière pour les minorités et les personnes vulnérables (c’est-à-dire les personnes vivant dans les périphéries, les personnes migrantes, les Néerlandais, les femmes fragiles, les personnes aux capacités diverses, les LGBQT+). Les principales actions du processus ECoC ont été développées selon les lignes stratégiques suivantes, avec un rôle crucial joué par la scène culturelle locale :

  • Co-création et engagement communautaire : plus de 57 000 citoyen·ne·s ont pris une part active au processus de création ou de production culturelle, comme par exemple ceux et celles qui ont coécrit le livret et la musique et qui ont conçu les décors et les costumes d’un opéra lyrique (Silent city, produit par l’Albero) ;
  • La diversité comme méthode : les activités ont été introduites dans les lieux où les gens vivent ou travaillent : hôpitaux, prisons, résidences pour personnes âgées, centres d’appels, écoles, usines, maisons sociales, centres commerciaux périphériques, jardins abandonnés ou villages ruraux, etc. L’objectif était d’encourager des personnes ayant des histoires, des capacités, des compétences, des origines et des âges différents à interagir et à se mélanger. Par exemple, des personnes migrantes dont les compétences invisibles ont été dévoilées grâce à des ateliers de « haute couture » avec des tailleurs locaux (Silent Academy dirigée par il Sicomoro). Un autre exemple est donné par le musée de Matera, qui a fait venir des conservateurs d’art et des peintures du 18e siècle dans des maisons sociales, pour enseigner aux résident·e·s (dont beaucoup n’étaient jamais entrés dans un musée) les techniques de restauration. Les participant·e·s ont également ouvert leurs maisons à leurs voisins pour cette activité ;
  • Le droit à la ville : les citoyen·ne·s ont été encouragé·e·s à prendre part au processus de transformation local et à construire des espaces publics et des biens communs. L’activité de l’Open Design School (une usine de recherche, de conception et de production intégrée à la ville où toutes et tous apprennent et enseignent) a été cruciale pour cartographier collectivement 400 lieux sous-utilisés qui pourraient être transformés en espaces publics ; ou pour concevoir un festival pendant la pandémie en explorant de nouveaux rituels pour être proches les un·e·s des autres en dépit de la distance. De même, par le biais d’interventions artistiques, les citoyen·ne·s ont été invité·e·s à construire des biens communs, par exemple en transformant des zones publiques abandonnées en jardins communautaires (Gardentopia).

 

Après l’année de la Capitale européenne en 2019, les valeurs et les méthodes du programme ECoC ont informé un certain nombre de politiques menées par la ville de Matera évoluant dans le même sens :

  • Accès à la culture et engagement communautaire : la stratégie de régénération urbaine (« Abitare Culture ») accorde une place centrale à l’investissement dans la culture, soulignant sa relation étroite avec le bien-être social et la durabilité urbaine et prévoyant d’amplifier la fourniture d’infrastructures culturelles et sociales dans ses zones périphériques.
  • Création de lieux créatifs : par exemple, en mobilisant les habitant·e·s locaux·les dans le processus de création de lieux dans un quartier négligé de Matera (Agna) par le biais d’ateliers et de promenades ethnographiques. Ce processus a impliqué des organisations publiques et privées des secteurs de la santé, du bien-être, de la culture et de l’éducation, et a conduit à la définition d’un programme visant à transformer le quartier en un centre spécialisé dans la culture et la santé.
  • La mise en réseau de pair à pair comme méthode pour faire face à des questions sociales complexes, comme par exemple l’inclusion et l’autonomisation des Neets (Not in education, employment et training youth) ou la lutte contre la violence fondée sur le genre. Rete donna (Women Net) a été créé pour soutenir une campagne permanente d’éducation et de sensibilisation contre la violence et la discrimination fondées sur le sexe. L’objectif est de créer un réseau de pairs réunissant des partenaires institutionnels (comme la police, les juges, les écoles) et des partenaires informels (comme les médecins, les avocats, les militant·e·s, les organisations caritatives). De même, pour approcher et impliquer les Neets, un vaste réseau a été mis en place, comprenant des barbiers, des bars, des centres commerciaux ainsi que des écoles, et l’accent a été mis sur la formation informelle, l’éducation de rue, le théâtre et les jeux. Dans ce processus d’engagement des citoyen·ne·s, l’alliance avec les organisations de base, les groupes informels de citoyen·ne·s et les institutions est d’une importance capitale.

Les lignes stratégiques étaient les suivantes : la co-création et l'engagement communautaire, la diversité comme méthode et le droit à la ville.

 

3. Impacts 

3.1. Impacts directs

Après l’année ECoC, le programme a engendré quelques communautés du patrimoine : un exemple est représenté par les volontaires ECoC qui ont fondé une association du patrimoine pour promouvoir la citoyenneté culturelle, considérée comme un patrimoine précieux à préserver.

Les études d’évaluation témoignent de l’impact considérable du programme CEC sur la population. Une enquête menée à la fin de l’année ECoC (Datacontact 2020) montre qu’un pourcentage élevé des personnes interrogées affirme être plus fier, plus ouvert aux personnes ayant des capacités différentes et désireuses de s’engager dans des activités civiques. Une étude menée en 2022 (« Co-creating Matera ») a montré que l’impact de la culture sur l’augmentation du niveau de bien-être, en relation étroite avec le bien-être et la croissance cognitive, était significatif. Les pratiques de co-création et de participation active ont eu des effets positifs en termes de confiance accrue, d’amélioration de leurs compétences, de plus grande capacité à collaborer et à comprendre les autres. Une autre étude a montré que l’impact de la culture sur l’augmentation du niveau de bien-être était particulièrement évident chez les citoyen·ne·s à faible revenu, soulignant l’impact positif sur la fracture culturelle (« Investigating the audience », 2021).

 

3.2. Évaluation

Tous les résultats du solide travail de suivi et d’évaluation sont visibles sur www.matera-basilicata2019.it/en/report-2019.html.

Un rapport de suivi offre également un aperçu détaillé des principaux produits et résultats obtenus par le programme ECoC. Il est complété par la plateforme de données ouvertes. Les ensembles de données en format ouvert sont ainsi transformés en biens communs numériques qui peuvent générer de nouvelles informations et pratiques pour les communautés locales, nationales et internationales d’analystes, de journalistes de données et de décideurs politiques, conformément à l’approche de la culture ouverte.

 

3.3. Facteurs clefs

Les facteurs clefs de succès sont les suivants :

  • Créer un contexte sûr et transparent qui encourage la confiance et la participation ;
  • Apporter la culture et la participation là où la plupart des gens vivent et travaillent ;
  • Tisser des alliances non seulement avec les institutions mais aussi avec les groupes informels, les organisations de base et la scène culturelle ;
  • Briser certaines règles : rien ne remplace l’expérience et l’intelligence collective pour la cohésion de la communauté et le progrès de la ville.


3.4. Continuité

Matera a mis en place des politiques publiques en étroite continuité avec le programme ECoC. Les valeurs et les méthodes du programme Matera 2019 ont fertilisé les politiques concernant différents secteurs, tels que l’inclusion sociale, l’égalité des genres, l’urbanisme, les biens communs, la politique culturelle, etc.

Les facteurs clefs de succès énumérés ci-dessus pourraient être transposés dans d’autres villes de petite et moyenne taille qui souhaiteraient investir dans la production culturelle ou dans d’autres villes où le scepticisme et le manque de confiance en soi sont largement répandus.

Le musée de Matera a apporté des peintures du 18ème siècle et des restaurateurs dans les maisons sociales de Matera, enseignant aux résident·e·s les techniques de restauration et transformant leurs maisons en vitrines pour l'art.

 

4. Plus d'information

Matera était candidate à la sixième édition du Prix international CGLU - Mexico - Culture 21 (novembre 2023 - mars 2024). Le jury du prix a rédigé son rapport final en juin 2024 et a demandé à la commission de la culture de promouvoir ce projet comme l’une des bonnes pratiques à mettre en oeuvre dans le cadre de l’Agenda 21 de la culture.

Cet article a été rédigé par Giulia Mancino, responsable des bureaux de la culture et du tourisme, Comune di Matera, Italie, en collaboration avec Rossella Tarantino.

Contact : g.mancino (at) comune.mt.it
Site web : www.comune.matera.it
www.matera-basilicata2019.it/en/)

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