Fabriquer, inventer, partager : Hautepierre à l'heure du numérique
1. Contexte
Strasbourg, capitale européenne, accueille de nombreuses institutions européennes dont notamment le Parlement européen, elle est à ce titre Label du Patrimoine. Elle développe une politique exemplaire en matière de démocratie locale, citoyenneté européenne, culture, patrimoine, transports, services urbains et économie. La Zone Urbaine Sensible (ZUS) de Hautepierre compte 13 862 habitants et est un des quartiers les plus jeunes d’Europe. Il est, composé à 78% de logements sociaux, avec un taux de chômage de 19,5% (2004), 39% de la population vivant sous le seuil de bas revenus et 75% d’élèves défavorisés. La part d’étrangers au collège est particulièrement élevée (29,3%). Ce quartier fait l’objet d’un plan “25 quartiers” initié en janvier 2004 par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire.
Depuis 2010 la Ville et la Communauté Urbaine de Strasbourg mènent conjointement une politique ayant pour but d’accompagner les habitants dans leurs usages des nouvelles technologies et se traduisant par le déploiement d’espaces de médiation numérique et d’ateliers spécifiques. L’ouverture du Shadok marque l’engagement de la ville en ce sens.
Géré par la Ville, cet espace est dédié à l’expérimentation, à la création et aux cultures numériques ; c’est un lieu nouveau où chacun peut découvrir et expérimenter les multiples usages du numérique dans ses dimensions artistiques, culturelles, économiques, sociales.
Selon l’usage que l’on en fait, les techniques et les technologies peuvent soit créer de la valeur (sociale, démocratique, citoyenne), soit en détruire. Le rôle des acteurs publics est de contribuer à ce qu’elles en créent plus qu’elles n’en détruisent. Cette question cristallise ainsi clairement les enjeux de fracture numérique. L’absence d’Espace Culture Multimédia (ECM) et d’Espace Public Numérique (EPN) a creusé le fossé au niveau de l’accès et des usages des habitants aux outils numériques.
Le projet décline un aspect essentiel de la politique locale : l’accès à la culture de tous, et notamment des jeunes. Le choix de créer un réseau de partenaires des secteurs culturels sociaux et éducatifs répond à l’objectif de favoriser la rencontre d’acteurs différents (habitants, institutions, artistes, associations) pour construire ensemble des projets sur le long terme.
La ville souhaite, via le Shadok, faciliter l’accès à la culture en lançant une nouvelle approche des publics.
2. Strasbourg et la culture
Strasbourg place la culture, facteur d’émancipation et d’épanouissement et condition indispensable à l’exercice de l’esprit critique et du vivre ensemble, au coeur de ses priorités. Elle considère la culture comme essentielle à la citoyenneté et y consacre un quart de son budget afin que l’offre culturelle s’adresse à tous les habitants, et que chacun puisse y participer.
La vie culturelle strasbourgeoise se caractérise par un maillage très dense des équipements culturels : médiathèques, musées, écoles de musique, théâtres, salles de spectacles et le nouvel espace Shadok (fabrique du numérique), centres socio-culturels. Elle est dotée d’un patrimoine exceptionnel (labels « Ville d’art et d’histoire » et « Patrimoine européen »), avec de nombreux acteurs culturels de dimension régionale, nationale et internationale, un dynamisme remarquable en matière de spectacle vivant, des structures ouvertes aux cultures numériques, une éducation artistique et culturelle à tout âge et un soutien aux pratiques amateurs.
Cependant, plusieurs équipements culturels ne rencontrent pas assez les habitants des quartiers où ils sont implantés. La circulation des publics entre le centre et la périphérie de la ville reste également à améliorer.
La ville souhaite donc, notamment via le Shadok, faciliter l’accès à la culture en lançant une nouvelle approche des publics, pilotée par une mission spécifique rattachée à la Direction de la Culture. Le projet FIP (Fabriquer, Inventer, Partager à l’heure du numérique) du Shadok montre l’engagement de Strasbourg dans la dynamique de l’Agenda 21 de la Culture :
- Un projet éducatif, destiné à un public de collégiens (Collèges Truffaut et Erasme).
- Un projet à vocation sociale, avec une implication culturelle active sur le quartier de Hautepierre classé prioritaire (manque de mixité sociale, taux élevés de jeunes, de familles nombreuses et monoparentales, de chômage, et forte population ouvrière et immigrée).
- Une démarche citoyenne et inclusive travaillant avec des associations en prise directe avec les habitants dans le sens d’une déstigmatisation et de l’appropriation citoyenne de la ville à travers la prise en compte des cultures et l’expression des créativités.
- Un projet créatif et scientifique où la culture du numérique devient une nouvelle forme d’expression et de langage, avec une dynamique de médiation contribuant à l’accès de tous à une culture scientifique et aux nouvelles technologies.
- Un projet innovant créant une valeur ajoutée économique (création d’emploi) grâce à la formation numérique qui développe les qualifications des jeunes et contribue à leur insertion sociale et professionnelle.
- Une démarche durable (suivi des jeunes participants), reconductible sur d’autres territoires (autres quartiers, niveaux national voire international).
3. Objectifs et mise en oeuvre du projet
3.1. Objectifs principaux et spécifiques
- Soutenir la démarche d’éducation populaire par la formation des acteurs et le développement d’outils.
- Soutenir la formation de réseaux territoriaux entre les communautés numériques et les réseaux d’éducation populaire.
- Sensibiliser et transmettre des compétences aux jeunes à travers un programme d’action annuel
- Faire découvrir les sphères d’application et les outils du numérique (entrepreneuriat, arts et culture, industries créatives)
- Aboutir à des supports et outils favorisant une participation autonome, d’expression critique et créative des jeunes.
- Accompagner l’émergence d’un réseau de médiation numérique au travers de la sensibilisation des acteurs d’éducation populaires)
3.2. Principales étapes
Le programme d’actions se décline sous 3 axes :
- Fabriquer son quotidien qui permet aux jeunes de comprendre comment passer de l’idée à la réalisation concrète, tout en leur faisant découvrir les lieux innovants présents localement (impression 3D et prototypage avec Fablabmobile; création de robots; atelier de dessin assisté par ordinateur et réalisation ; atelier de création de signalétique et visites thématiques autour de la fabrication.
- Imaginaires numériques qui permet d’ouvrir les jeunes à des pratiques numériques créatives, narratives et artistiques, et d’éveiller leur curiosité, avec des ateliers hebdomadaires (création d’un serious game), une sensibilisation à l’écoute en ville (dispositif de captation sonore), une résidence d’artiste (ateliers d’écriture, création de décors), le projet ALSAXY, de l’enregistrement en studio, des visites thématiques de lieux dédiés aux cultures numériques.
- Hautepierre se la raconte ! qui permet l’appropriation et l’approfondissement de la dimension technique de différents médias (son, écriture et vidéo) en vue de servir la parole citoyenne des jeunes (initiation à l’éditorialisation en ligne, initiation au montage, présentations du métier de journaliste à l’ère numérique, co-réalisation d’un film documentaire avec un réalisateur, initiation hebdomadaire à la radio).
Strasbourg place la culture au coeur de ses priorités, comme facteur d’émancipation et d’épanouissement, et condition indispensable à l’esprit critique et du vivre ensemble.
La création d’une plate-forme web mutualisée avec les partenaires permet de mettre en avant les réalisations des jeunes et le suivi des actions et facilite la pérennisation de la démarche.
Les jeunes de 14 à 25 ans sont le public cible du projet ; le programme tend à trouver un équilibre entre publics dits « captifs » (collégiens et jeunes décrocheurs scolaires repérés par les Missions Locales pour l’Emploi) et « non-captifs », notamment par le biais d’actions hors-les-murs. Ils ont pu découvrir de nouveaux outils et se perfectionner via la pratique, certains ont également bénéficié de visites hors du quartier, favorisant une meilleure appropriation de la ville et de ses équipements. On note également une adhésion de la part de publics non ciblés (parents, enfants en bas âge). On dénombre à ce jour près de 2000 bénéficiaires.
4. Impacts
4.1. Impacts directs
Impacts sur le gouvernement local
La ville de Strasbourg et la mission des publics de la direction de la Culture a évalué les bonnes pratiques et pourra reprendre les outils mis en place par ce projet.
Impact sur la culture et les agents culturels locaux de la ville/territoire
Mise en place d’un réseau de compétences qui regroupe des agents de la Ville et de la Direction de la Culture.
Impact sur le territoire et la population
Le maillage de structures n’ayant jamais collaboré auparavant a permis une montée en compétence d’acteurs de terrain institutionnels et associatifs. Les partenariats ont permis à des jeunes de 14 à 25 ans de structures diverses de découvrir et de se former durablement aux pratiques culturelles numériques.
4.2. Impacts transversaux
Le projet a fait émerger une communauté grandissante de partenaires et de publics impliqués, au-delà de la tranche d’âge ciblée initialement. Des stages d’orientation d’élèves de 3ème ont été engendrés par le projet dans des entreprises et associations de culture numérique. La flexibilité et l’écoute des partenaires a également permis la mise en place d’actions initiées directement par les publics mixtes.
4.3. Évaluation
Une sociologue a été chargée de suivre les actions et leur mise en oeuvre avec les partenaires et auprès des publics. Quatre étudiants en Master CFT (Centre de Formation en Technologie) de l’Université de Strasbourg ont été sollicités pour capitaliser sur les différentes méthodes pédagogiques déployées. Le Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports (co-financeur), a sélectionné le projet pour effectuer une évaluation par une structure externe. Toutes ces données permettront une évaluation à divers degrés, et ultérieurement, une diffusion massive d’une méthodologie possiblement reconductible sur d’autres territoires. Des comités de pilotage et des journées d’études avec les partenaires, financeurs et intervenants, sont également programmés à des fins de suivi et de réorientations éventuelles.
Strasbourg considère la culture comme essentielle à la citoyenneté, et y consacre un quart de son budget.
4.4. Continuité
Le projet tend à se déployer; le quartier du Port-du-Rhin, en pleine transformation, est pressenti pour accueillir bientôt un dispositif similaire. Il s’agira de commencer un travail de mise en réseau de partenaires pour amorcer l’écriture d’un programme d’actions par et pour les jeunes. Le travail de capitalisation et de transmission des données relatives à la conduite du projet sera également poursuivi localement, avec les acteurs de terrain, et internationalement.
5. Autres informations
La Ville de Strasbourg a été candidate à la deuxième édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (janvier-mai 2016). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2016 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en oeuvre de l’Agenda 21 de la Culture.
Texte approuvé en novembre 2016. Bonne pratique publiée en décembre 2016.
Cette fiche a été réalisée par Nawel RAFIK-ELMRINI, Adjointe au Maire en charge des relations européennes et internationales et Géraldine FARAGE, Responsable du Shadok, Strasbourg, France. Contact: aline.oswald-knop (at) strasbourg.eu ou geraldine.farage (at) strasbourg.eu