Le village de Misi : un pôle culturel de tradition et de modernité à la périphérie d'une métropole turque en pleine expansion

Contexte

Nilüfer est un district de la province de Bursa au nord-ouest de la Turquie. Fondée à l’époque hellénistique par les rois de Bithynie, Bursa est une ville historique, première capitale des sultans Ottomans au 14e siècle.

La municipalité de Nilüfer a été créée en 1987 et constitue l'un des 17 districts de la municipalité métropolitaine de Bursa. Nilüfer tire son nom de la rivière qui borde le centre de Bursa et la ville, un nom qui lui provient également d’un pont construit par Dame Nilüfer, l’épouse du sultan Ottoman Orhan, conquérant de Bursa. Nilüfer est également connue pour ses vestiges des premières habitations de vie rurale sédentaire, au 7e siècle av. J.-C., pour le tertre d’Aktopraklık, l’ancienne ville grecque d’Apollonie, habitée pratiquement de façon ininterrompue jusqu’à aujourd'hui, et pour le village de Kite (aujourd'hui Ürünlü), siège du gouverneur Byzantin et du premier château ayant servi de centre administratif aux Ottomans.

Aujourd’hui, Nilüfer est le quatrième plus grand centre urbain de Turquie et affiche des taux de croissance démographique en pleine accélération. Pratiquement totalement rural jusqu’aux années 70, le district a été largement urbanisé et industrialisé depuis, englobant cinq zones industrielles organisées et le campus de l’Université d’État de Uludağ. Elle est divisée en 64 quartiers administratifs, répartis pour moitié en zone rurale et pour moitié en zone urbaine. Avec plus de 400 000 habitant·e·s, le district de Nilüfer se distingue par ses zones d’aménagement urbain, ses infrastructures sociales, son dynamisme culturel et la mise en œuvre de grands projets de protection culturelle.

La protection du patrimoine culturel et la promotion de l'expression culturelle et artistique au travers d'activités culturelles, de l'éducation et d'espaces institutionnels  où les entités individuelles et collectives peuvent s'exprimer librement font partie des plus hautes priorités de développement de Nilüfer.

Nilüfer et la culture

Outre son engagement envers la protection du patrimoine culturel, la Municipalité s’est engagée à créer ou renforcer les liens fondamentaux entre la ville et son territoire (zones urbaines et rurales) en promouvant des méthodes agricoles efficaces, en encourageant la production agricole locale, le secteur rural et la collaboration entre producteur·rice·s locaux·les (en particulier les associations de femmes). Nilüfer considère également comme une priorité la protection de l’environnement et la préservation de la nature et de la culture comme parts intégrantes du patrimoine naturel et culturel. 

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

Le principal objectif de ce projet est d’élargir l’envergure de la protection culturelle à Nilüfer, en appuyant la création de liens entre patrimoine architectural et culture vivante, en stimulant le développement économique fondé sur la durabilité et en soutenant la culture locale traditionnelle au travers de la coopération avec les associations de la société civile.

Les objectifs spécifiques sont les suivants :

  • Fournir les outils pour l’urbanisation durable, au travers de la préservation ou de la redynamisation et la transmission au travers de l’éducation au patrimoine culturel.
  • Créer des espaces de dialogue, de coexistence et d’interaction entre culture rurale traditionnelle et culture urbaine moderne, par le biais de lieux culturels liés à la sériciculture, à la gastronomie, à la photographie, à la littérature, aux beaux-arts et à l’histoire.
  • Les citoyen·ne·s peuvent se rendre compte des différents aspects de la multiculturalité de la région dans un cadre égalitaire, respectueux et non condescendant, pour lutter contre l’influence des discours populistes insistant sur la segmentation et la supériorité culturelles.

Développement du projet

Principales actions réalisées

Le village de Misi (aujourd’hui quartier Gümüştepe) est l’un des plus anciens établissements humains du district de Nilüfer, et se distingue par ses restes archéologiques de la période Byzantine et des tribus Mysiennes. Il est situé au sud-est de Nilüfer, aux contreforts du mont de l’Olympe de Bithynie (Uludağ) et sur la rive gauche de la rivière Nilüfer, attenant au district central (Osmangazi) de Bursa et aux nouvelles zones urbaines du district de Nilüfer. Le village de Misi est connu depuis le 19e siècle pour son économie rurale fondée sur la viticulture, la production vinicole et la sériciculture, tout comme pour son architecture traditionnelle vernaculaire des 17e, 18e et 19e siècles. Toutefois, l’expansion urbaine, les changements dans l’utilisation des sols et les possibilités d’avantages qui en résultent ont mené à l'inclusion de nombreux anciens établissements ruraux au tissu urbain et à la modification de leurs spécificités.

Le programme culturel de Misi a démarré en 2007, au travers de la coopération entre l’Association des femmes de Misi pour la culture et la solidarité et la Municipalité de Nilüfer. Ceci a été défini en parallèle du Projet de protection et de durabilité de Misi (grands travaux de restauration du patrimoine architectural local de 2006 à 2016) et dans le cadre de la politique culturelle de Nilüfer pour la protection du patrimoine culturel, encourageant la diversité et stimulant la créativité et la transmission des connaissances. Il a été financé grâce à une subvention en provenance du fonds « Le tourisme est le futur », co-financé par le ministère turc de la Culture et du Tourisme, le Programme de développement des Nations Unies (PNUD) et l’entreprise Anadolu Efes, sous le nom « 100 % Misia ». Le budget global est estimé aujourd'hui à plus de 400 000 EUR.

Le village de Misi a été déclaré comme site architectural naturel et urbain protégé en 1987. De plus, de grands travaux de restauration ont été effectués pour permettre la protection et la durabilité du patrimoine architectural et du paysage culturel de Misi.

Le programme a démarré avec la création d’une « Maison de la soie » et d’une « Maison du cocon » dans les anciennes habitations restaurées d'architecture traditionnelle vernaculaire, où les activités traditionnelles de sériciculture d’élevage des vers à soie, de dévidage de cocons et de tissage ont été redynamisées. Le projet comprend la plantation de mûriers, car leurs feuilles sont utilisées pour l’élevage des vers à soie dont les cocons forment la matière à partir de laquelle le fil de soie est extrait. Les centres culturels Maison de la soie et Maison du cocon proposent d’enseigner et de diffuser des connaissances liées à toutes les étapes de la production de sériciculture (élevage des vers à soie, dévidage traditionnel des fils et tissage des fils sur des métiers à tisser en bois).

Le renouveau de la production de soie à Misi est associé depuis 2016 à l’élaboration d’objets et de bijoux fabriqués à partir des cocons séchés, réalisés lors d’ateliers organisés par le Centre de formation professionnelle continue de la Municipalité de Nilüfer (NÍLSEM).

En 2017, un festival de rue consacré à la soie a été organisé à Misi, avec la participation d’artistes et de tisserand·e·s des régions productrices de soie en Turquie. Des designers et des expert·e·s industriel·le·s ont fait des présentations sur le rôle joué à Bursa par les entreprises de production de fils de soie et d’exportation de cocons et de soie brute vers l’Italie et la France au 19e siècle. En 2018, la Maison de la soie prévoyait d’accueillir une exposition permanente sur l’histoire du tissage de la soie et de la sériciculture du Moyen-Âge jusqu’à l’époque contemporaine.

Outre la sériciculture, les membres de l’Association des femmes de Misi pour la culture et la solidarité ont été formées à préparer et servir des plats locaux, à la Maison du cocon et dans des installations fournies par la Municipalité de Nilüfer le long des berges de la rivière

La production agricole locale et la culture gastronomique sont également régulièrement promues au cours de festivals (annuels) organisés par la Municipalité de Nilüfer en coopération avec 26 associations de femmes provenant des quartiers ruraux du district de Nilüfer et ce, depuis 2005. Lors des événements, des concerts, danses folkloriques et banquets composés de plats de la cuisine des régions rurales et des concours de « dégustation locale » sont organisés.

Les plats locaux sont proposés tout au long de l’année, et avec les ventes des produits dérivant de la soie et des cocons, ils constituent la principale source de revenus pour les femmes de Misi.

Depuis 2014, la Municipalité de Nilüfer a entamé une nouvelle politique en vue de créer les conditions locales pour davantage d’interactions culturelles entre les populations urbaines et rurales, au travers de la fondation de « loci » (lieux) pour l'expression culturelle et artistique. C’est dans ce contexte qu’a été ouverte en 2014 la Bibliothèque pour enfants de Nilüfer, au cœur d’un bâtiment restauré sur la principale place du village.  
De 2016 à 2017, le Musée de la photographie de Misi, le Musée de la littérature et la Maison-Atelier d’art ont ouvert dans différents édifices d’architecture traditionnelle rénovés dans les zones centrales et périphériques du village de Misi. Tous ont été fondés en coopération avec des associations de la société civile des zones urbaines de Nilüfer et du district central de Bursa (Osmangazi) : l’Association de photographie d’art de Bursa [BUFSAD], l’Association pour la littérature et l’art de Bursa [BUYAZ] et la faculté des beaux-arts de l’Université de Uludağ [Βursa].

En 2016 et 2017, deux ateliers de peinture ont été organisés par la Maison-Atelier d’art et la Maison du cocon, accueillant des artistes de Turquie et de l’étranger, qui ont proposé des séminaires sur la peinture. Au cours de ces séminaires, l’Association des femmes de Misi pour la culture et la solidarité ainsi que la population locale et les enfants se sont pleinement impliqué·e·s dans l’organisation, guidant les visiteur·se·s et proposant des services de restauration.  
Enfin, en 2016, un sentier 300 km de trekking, vélo et équitation reliant les hameaux ruraux de montagne et de plaine a été mis en place par la Municipalité de Nilüfer, en coopération avec des grimpeur·se·s chevronné·e·s (associations d’alpinisme du district central de Bursa). Cela a permis de connecter Misi à d'autres hameaux ruraux historiques et de créer des routes culturelles sous le nom des « Chemins de Misi », développant ainsi l’éco-tourisme et le tourisme culturel et attirant encore davantage de visiteur·se·s dans les régions turques.

Impacts

Impacts directs

Impacts sur le gouvernement local

L’émergence réussie d’une économie locale durable dans le village de Misi, fondée sur la protection du patrimoine culturel, la diversité et l’interaction entre zones urbaines et rurales, avec la participation active de la société civile à la formulation de politiques culturelles a encouragé la Municipalité de Nilüfer à collaborer encore plus avec la société civile dans la gouvernance locale et en particulier pour renforcer le rôle de la société civile dans la planification et la mise en œuvre des politiques culturelles dans les zones urbaines ou rurales.

Impacts sur la culture et les acteurs culturels locaux

La coopération avec les gouvernements locaux, l’émancipation sociale, le bien-être économique et la qualité de vie ont mené à une hausse de la confiance en soi, de l’esprit d’entreprise et de la présence publique chez les membres des organisations de la société civile rurales et en particulier chez les femmes d’origine rurale.

La réussite du programme culturel de Misi a également mené a davantage de coopération entre les associations locales (rurales) de la société civile dans d'autres districts de la province de Bursa sur la fonctionnalisation du patrimoine architectural restauré.

Impacts sur le territoire et la population

La population a d’abord opposé une certaine résistance dès le début du programme et depuis la déclaration officielle de Misi comme « site architectural urbain » en 1987, ce qui avait mené au ralentissement de la construction de bâtiments de type urbain et moderne à plusieurs étages, perçu alors comme un dommage économique fait aux propriétaires fonciers. Depuis, les résultats économiques et sociaux positifs (autonomisation des femmes locales et des associations de la société civile, recettes provenant des activités touristiques et culturelles, hausse du niveau de vie, interaction avec des membres très instruits de la société urbaine et protection du patrimoine culturel) ont réduit les tensions.

De plus, la préservation du patrimoine naturel et le développement du tourisme de nature dans le voisinage immédiat des zones urbaines sont prometteurs pour les futures limitations de l’urbanisation en raison de l’existence d’une alternative au développement durable fondée sur la protection du patrimoine culturel et sur l’équilibre et le respect dans les interconnexions culturelles entre rural et urbain.

Évaluation

Aucun mécanisme d’évaluation n’a été conçu ou mis en œuvre.

Facteurs clefs

La coopération solide et bien coordonnée entre le gouvernement local et les organisations de la société civile rurale et urbaine, qui interagissent et coopèrent dans le cadre défini par le programme.

La focalisation fondamentale sur la culture, qui prend la forme de la protection du patrimoine culturel mais aussi de la coexistence des cultures rurales et urbaines en bordure d’un centre urbain en pleine expansion.

Continuité

Le Programme culturel de Misi est une initiative à long terme. Le futur bâtiment pour accueillir le Centre des droits des enfants et une exposition permanente sur l’histoire de la soie à la Maison de la soie ont été estimés à (environ) 50 000 EUR et 10 000 EUR respectivement. De potentiels mécénats des conférences et ateliers sur la littérature et les beaux-arts par le secteur privé sont en cours d’examen, car ce serait un moyen d’introduire des partenaires du secteur privé et d’accroître la durabilité économique du programme.

Informations relatives

Nilüfer a été candidate à la troisième édition du Prix international CGLU-Ville de Mexico-Culture21 (novembre 2017 - mai 2018). En juin 2018, le jury a publié son rapport final et demandé à la Commission Culture de CGLU de promouvoir ce projet comme exemple de bonne pratique de la mise en œuvre de l'Agenda 21 de la Culture.

Cette fiche a été rédigée par Eirini Kalogeropoulou Yalçın, historienne à la Municipalité de Nilüfer, direction des affaires culturelles et sociales, bureau de l’histoire et du tourisme, Municipalité de Nilüfer, Turquie

Contact : Eirini@nilufer.bel.tr 

Site web : www.nilufer.bel.tr

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