Trust du patrimoine immatériel pour la ville d'Iriga (IHT-IRC)

Contexte

La ville d’Iriga est un centre urbain de taille moyenne, situé à 400 km au sud-est de la métropole de Manille. Avec une population de 111 757 habitant·e·s (recensement de 2015), elle s’étend sur une zone sans littoral de 131,4 km2, un cas exceptionnel dans la région de Bicol, péninsule donnant sur l’océan Pacifique et les mers internes des Philippines.

Située au centre de la région de Bicol, Iriga se distingue du reste des Philippines du point de vue de sa géographie, mais également de sa gastronomie, de sa culture orale, de son profil agroalimentaire et du dynamisme remarquable de ses habitant·e·s. De plus, les résident·e·s de Bicol très chrétien·ne·s sont également passionné·e·s par les rituels hérités de la période précoloniale.

Iriga et la culture

La politique et le système du Trust du patrimoine immatériel pour la ville d'Iriga (IHT-IRC) ont évolué avec le temps de façon essentielle ; l’actuelle Maire Madelaine Yorobe Alfelor en poste depuis 2016 s’y implique, comme elle l’avait déjà fait lors de son précédent mandat, de 2004 à 2013. Le terme « essentielle » fait référence ici à la participation des citoyen·ne·s dans la transformation du patrimoine culturel au travers de politiques de conservation innovantes.

Dans ce système, la création essentielle de l’identité culturelle façonne la cohérence de l’IHT-IRC et, en retour, l’IHT-IRC est examiné selon l’inclination collective de la communauté. Ici, la ville d’Iriga applique à la culture la même méthode d’archivage et d’analyse qu’elle applique aux autres secteurs (agriculture, santé, environnement et autres domaines de la planification du développement durable et de sa mise en œuvre). En 2010, suite au constat de l’essor du tourisme au travers de festivals de grand format, la ville a conçu une stratégie pour devenir plus attractive.

Une part spécifique du projet de cette politique était la transformation du festival annuel de la ville (qui dure une semaine) : faire d’un rassemblement de la communauté existant depuis 1974 un événement à l’échelle de la région de Bicol, compétitif et centré sur le rite indigène ancien de célébration de la moisson. L’événement correspond aussi à notre fête de Notre-Dame de Lourdes. Une dimension théâtrale a également fait surface suite aux demandes de plus de danses dans les rues, qui enthousiasment les habitant·e·s.

De plus, d’autres programmes liés au patrimoine immatériel ont été élaborés au fil du temps. Ces programmes sont intégrés aux événements sociaux qui ont lieu au sein des barangays (plus petite unité administrative aux Philippines) et impliquent les gouvernements locaux et les citoyen·ne·s. Ils comprennent des chants sur la passion du Christ qui durent plusieurs jours, dans la tradition vocale et rythmique musicale précoloniale, la danse du Lancero de Iriga, une danse de guerre indigène appelée Rinampo, une tradition guerrière (interprétée avec une forme théâtrale de la recherche de la Vraie Croix par Sainte Hélène et son fils Constantin), etc.

La nouvelle politique culturelle de la ville lui a valu la 2ème place derrière la ville de Cebu, dans la catégorie meilleur Festival-Événement touristique.

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

Le principal objectif de l’IHT-IRC est de faire prospérer les expressions culturelles de la ville d’Iriga et son patrimoine linguistique, en bâtissant sur la croissance de ces traditions ces dernières décennies et en connectant plus solidement ces traditions aux objectifs de développement durable.

En ce sens, l’IHT-IRC déploie une documentation et une analyse des programmes qui permettent d'approfondir la compréhension de ces traditions, des innovations introduites par ceux et celles qui les pratiquent et des types d’intervention de plus grande valeur, afin d’assurer une durabilité à long terme.

L’IHT-IRC définit les objectifs spécifiques suivants :

  • mettre en œuvre, documenter et analyser les innovations concernant la tradition, en vue de produire, d’ici à fin juin 2019, un bilan clair de l’équilibre entre tradition et changement ;
  • effectuer une évaluation des futures interventions et de l'aide qui serait nécessaire ;
  • mieux comprendre l’évolution linguistique ;
  • clarifier s’il existe des liens entre les domaines culturels et tous ceux du développement durable et si oui, comment ces liens sont faits ;
  • produire une évaluation mesurable du bien-être partagé au sein des différentes parties de la ville d’Iriga.

Développement du projet

Principales actions réalisées

L'IHT-IRC est un système multidimensionnel de projets et programmes qui animent le patrimoine immatériel de la ville. Ce patrimoine englobe des spectacles et d’autres activités culturelles héritées des autochtones, de la colonisation espagnole, de la colonisation américaine ainsi que des spectacles vocaux modernes, instrumentaux, théâtraux et rituels, avec les langues Rinconada Bikol ou Agta du Mont Iriga. Le projet consiste à entreprendre un processus élargi de documentation et d’analyse, avec un nouvel accent mis sur les liens avec les ODD, sous l’angle commun de la « culture ».

Expérimenté depuis déjà plus de 30 ans, l’IHT-IRC s’est doté d’un caractère beaucoup plus formel sous la direction de l’actuelle Maire de la ville. Le projet se trouve actuellement en phase 2 (2016-2019), qui est consacrée à établir des liens avec les ONG se concentrant sur le développement durable (par ex. : l’organisation nationale « Kaya Natin! Mouvement pour la bonne gouvernance et le leadership éthique »). Un budget de 3,3 M de PHP est alloué annuellement par le gouvernement de la ville pour soutenir les événements et le travail de documentation. La phase 1 (antérieure à 2016) s’est focalisée sur la croissance essentielle, et la phase 3 (2019-2021) donnera une dimension de planification urbaine de la ville à l’IHT-IRC.

En tant que politique et système d'actions, l’IHT-IRC est mise en œuvre sous différentes formes, notamment : l'aide aux sous-groupes de la communauté dans la mise en scène d'événements particuliers à différents moments de l'année ; l’ouverture de l'administration locale pour en faire un festival au caractère plus régional ; le soutien logistique/administratif encourageant et facilitant l'innovation ou la réinvention de la tradition ; l'engagement régulier de ressources financières pour l’organisation d’événements ; et l'engagement atypique de différentes ressources (pas nécessairement financières) pour le renforcement des relations sociales à travers ces formes de représentations.

L'idée fondamentale derrière le projet est que le patrimoine immatériel, autrement dit, l'ensemble des chansons, danses traditionnelles, rites, théâtre et conventions linguistiques représentant le sens de soi local et la communauté, est un reflet de l'identité dont les racines sont les plus profonds que le patrimoine matériel.

L’IHT-IRC est administré par le gouvernement de la ville d’Iriga, en partenariat avec plusieurs groupes d’arts du spectacle de la ville dont certains sont des clans ou des organisations de villageois·es. De plus, la ville d’Iriga travaille en tandem avec TAO INC., la corporation de développement de la culture pionnière et unique en son genre aux Philippines, ainsi qu’avec des agences gouvernementales impliquées dans le développement culturel. Depuis 2016, l’IHT-IRC rencontre plusieurs difficultés qu’il lui faudra surmonter :

  • Même si les praticien·ne·s sont totalement intégré·e·s et lié·e·s à leurs villages et leurs clans, la plupart d’entre eux-elles n’ont pas accès à un enseignement supérieur de qualité. Enseignement qui leur permettrait de mieux comprendre la valeur de leur pratique, selon une perspective plus élargie touchant aux ODD. Ce défi doit être surmonté par les praticien·ne·s les plus jeunes, une fois que la phase 2 aura fourni les informations et analyses nécessaires concernant la nature exacte des lacunes à combler dans les connaissances.
  • Il est urgent de répondre aux besoins des groupes autochtones Agta marginalisés, pour faciliter leur transition vers une économie moderne. Ces groupes sont attachés à des traditions complexes, et sont porteur·se·s d’un patrimoine culturel génétique très ancien. Il·elle·s ont des difficultés à subvenir à leurs besoins de base, notamment le logement, l’accès à l’eau, à l'assainissement à la santé. À cet égard, la phase 3 du projet doit leur fournir davantage de connaissances sur les ODD et sur ce que ces derniers peuvent améliorer au sein de toute la société.
  • Les typhons intermittents qui frappent la péninsule de Bicol, auxquels s'ajoutent les menaces engendrées par le dérèglement climatique, peuvent provoquer de lourds dégâts, chaque année, dans tous les villages où ont lieu les représentations. En ce sens, il est crucial de bâtir des communautés résilientes et d’utiliser la culture comme levier d’autonomisation des habitant·e·s, pour leur faire prendre davantage conscience des liens entre culture, nature et humanité.

Impacts

Impacts directs

Impact sur le gouvernement local

La réussite prolongée de l’IHT-IRC réside dans le soutien que le gouvernement local fournit aux groupes de spectacles et vice-versa. Ces dernières années, le gouvernement local a grandement amélioré ses capacités d’administration culturelle et de planification des événements. Simultanément, la capacité des différents clans et groupes de villageois·es à travailler avec le gouvernement local, en particulier en accédant à la formation, au conseil et aux matériels provenant de sources extérieures à Iriga ou Bicol, s’est accrue. De plus, l’esprit de communauté fort et inclusif est appuyé par un soutien solide de la part du gouvernement local à l’autonomisation des citoyen·ne·s, ce qui constitue un indicateur de bonne gouvernance.

Impact sur la culture et sur les acteurs culturels locaux

L’IHT-IRC vise à renforcer directement les artistes locaux·les de tous les domaines artistiques (chant, danse, musique instrumentale, théâtre et traditions linguistiques) pour faire d’eux-elles des incarnations du développement durable dans les autres sphères de la ville d’Iriga. Comparée aux autres villes et municipalités de Bicol, Iriga s'est forgé une réputation d’une extraordinaire vivacité et d’une richesse de traditions interprétées de façon enthousiaste et bien différenciée. En outre, les habitant·e·s d’Iriga sont relié·e·s par des liens tissés entre les clans et les villages, au travers de passages réguliers de maison en maison, commémorant ainsi le simple fait de la communauté et du village.

Impact sur le territoire et la population

Le projet vise les 111 757 habitant·e·s de la ville, avec pour but d’améliorer leur qualité de vie et consolider leur fierté envers leur propre patrimoine culturel et linguistique, mais aussi de renforcer leurs capacités à innover au sein de la sphère de leur identité culturelle. Les habitant·e·s d’Iriga sont atypiques dans leur adhésion et dévotion aux traditions. Par exemple, il·elle·s maintiennent les rites d’Actions de grâces qui viennent de l’atang, ou les rites d’offrandes des Philippines préchrétiennes, et ont tendance à reconnaître les racines animistes de la pratique chrétienne.

Le sentiment bien défini de la communauté chez les habitant.e.s d'Iriga explique également l'extrême esprit d'ouverture à l'égalité des genres, les vues éclairées sur l'environnement et les techniques de bonne gouvernance.

Évaluation

L’évaluation de l’IHT-IRC est actuellement en cours de planification. Elle établit trois indicateurs clés de performances, à savoir :

  • exhaustivité mesurable : des vidéos, des photos et des enregistrements audio sont utilisés pour documenter tous les événements de représentation ayant lieu dans les barangays pendant deux ans, ainsi que les langues Agta du Mont Iriga et Rinconada ;
  • la participation des membres des groupes de spectacles et des professionnel·le·s des études culturelles au recueil des données ;
  • l’évaluation des données pouvant être utiles à la conception de la phase 3 de l’IHT-IRC.

Une équipe d’évaluation indépendante sera mise sur pied par la Maire d’Iriga afin de vérifier que les indicateurs clés de performances ci-dessus sont convenablement respectés. Cette équipe, composée de cinq personnes maximum, doit comprendre au moins un·e linguiste et un·e expert·e d’études de performances ou d’études philippines. La proportion de membres locaux·les et de membres nationaux·les doit se faire à nombre égal.

Facteurs clefs

Pour que le projet réussisse, la « matérialité » des résultats de l’IHT-IRC doit également être perçue au travers du travail lié au développement ; par exemple faire sortir les communautés Agta de la pauvreté.

Continuité

Le soutien apporté par le gouvernement local ces dernières décennies s’est illustré par (entre autres) : une aide financière constante et fiable ; l’accès à des formations et conseils de sources extérieures ; l’orientation dans la gestion des événements ; des possibilités de rencontre avec d’autres artistes locaux·les et nationaux·les ; des opportunités éducatives, de moyens d’existence et de participation citoyenne à la bonne gouvernance. Les artistes et groupes de représentations ont répondu à ce soutien, ainsi que leurs familles et ami·e·s, avec un dévouement constant à l’amélioration de leurs compétences, l’étude de la tradition et/ou de l’innovation, et la loyauté manifeste envers l’art et la ville.

Un facteur clfé de la réussite de ce projet est l'existence de liens potentiels entre le patrimoine immatériel de la Ville d'Iriga et certains des ODD de l'ONU, même si la nature de ces liens peut également être décrite comme immatérielle.

Pour autant que l’IHC-IRC soit une continuation de décennies de développement culturel essentiel de la ville d’Iriga, et signifie l’implication constante du gouvernement local, on attend que la continuité perdure comme principe fondamental dans les années à venir.

Information relative

Iriga a été candidate à la troisième édition du Prix international CGLU-Ville de Mexico-Culture21 (novembre 2017 - mai 2018). En juin 2016, le jury a publié son rapport final et demandé à la Commission Culture de CGLU de promouvoir ce projet comme exemple de bonne pratique de la mise en œuvre de l'Agenda 21 de la Culture.

Cette fiche a été rédigée par Madelaine Yorobe Alfelor, Maire de la ville d’Iriga, Camarines Sur, Philippines.

Website: www.iriga.gov.ph

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