« Patrimoine culturel et redynamisation des activités socio-économiques à Tombouctou »
1. Contexte
Tombouctou couvre une superficie de 21 km². Elle comprend une forêt classée et englobe les agglomérations de Kabara et Koriomé. La ville abrite 54 453 habitants (Songhoï, Tamasheq et Arabes, Bozos Somonos Bellas) résidant dans les quartiers d’Abaradjou, Badjindé, Bellafarandi, Hamabangou, Sankoré, Djingareiber, Kabara, Sareikeina et Koiratao. C’est un point de rencontre et un carrefour culturel et historique d’échange de produits venant de méditerranée et du sud du Sahara. Le maraîchage, l’élevage, la pêche, l’artisanat, les productions forestières et le tourisme constituent ses principales activités économiques dont le développement est entravé par l’enclavement géographique qui augmente l’état de pauvreté des populations. Ayant mis fin au tourisme, principale source d’activité et de revenu, l’occupation de Tombouctou par les djihadistes a rendu nécessaire la redynamisation des activités socio-économiques. Avec l’appui technique et financier de l’AIMF (réseau international des maires francophones), la Mairie et l’Etat ont appuyé le projet afin de préserver le bien culturel inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1988.
De mai 2012 à janvier 2013, Tombouctou a été occupée par des rebelles armés qui ont causé d’importants dégâts sur les biens du patrimoine mondial et ont provoqué un déplacement massif des populations vers le sud du Mali et les pays voisins. Les services municipaux et les administrations déconcentrées ont été pillés et entravés. Le tissu socio-économique a complètement périclité, accentuant la pauvreté. Cela a conduit l’État malien à solliciter l’aide de la communauté internationale à travers l’UNESCO. Suite à la réunion d'experts sur la sauvegarde du patrimoine culturel du Mali organisée par l'UNESCO à Paris en 2013, un plan d’actions de réhabilitation et de conservation fut adopté, avec une action visant à redynamiser le tissu socio-économique et les activités génératrices de revenus.
Le projet avait pour objectif principal de défendre la liberté des individus et des groupes à préserver leurs pratiques culturelles que les djihadistes voulaient supprimer.
Le projet a été initié par la Mairie et la DNPC dans le cadre d’un programme national. La Mairie de Tombouctou s’est associée avec les services de la Direction nationale du patrimoine culturel pour renforcer ses propres capacités institutionnelles et opérationnelles afin d’être un acteur central de la mise en œuvre de ce projet réalisé conjointement avec le bureau UNESCO de Bamako. En outre, la Mairie a sollicité l’appui de l’AIMF dont elle est membre depuis 2005 pour la redynamisation des activités socio-économiques et la sauvegarde de son patrimoine culturel. Le processus multi-acteurs a permis de mobiliser les populations concernées, à savoir les habitants, à travers les organisations professionnelles, et les familles. La mairie a bénéficié de moyens financiers et de l’expertise technique qui lui faisaient défaut et a développé sa capacité de plaidoyer dans les cénacles internationaux. La collaboration établie entre la Commune Urbaine (maître d’ouvrage), l’AIMF, (assistant à maîtrise d’ouvrage et partenaire financier) et la Direction nationale du patrimoine culturel, (accompagnement technique sous supervision du bureau UNESCO), montre combien le partenariat entre collectivité locale et services de l’Etat est indispensable dans des projets de développement durable.
2. Tombouctou et la culture
À Tombouctou, l’action culturelle municipale s’inscrit dans le cadre d’un plan stratégique régional de développement. Son volet culturel est axé sur la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel (université de droit, théologie islamique et médecine) et sur le tourisme culturel et la promotion de l’artisanat d’art (bijouterie, maroquinerie, techniques de construction). Parallèlement, une action culturelle sociale est conduite pour répondre aux aspirations de la jeunesse : lecture, musique, loisirs et information. S’appuyant sur les opportunités créées par la décentralisation et considérant que la culture joue un rôle majeur dans le développement durable, Tombouctou tient compte des urgences d’investissement exprimées par les populations (économie locale, commerce, santé, éducation). Par conséquent, elle a adopté une approche transversale du développement culturel, en lien avec d’autres politiques. Malgré les moyens humains et financiers limités, la Mairie construit les infrastructures pouvant servir les expressions culturelles locales et collabore avec les services déconcentrés et des partenaires internationaux pour les actions.
Le projet a de nombreux liens avec l’Agenda 21 de la culture. Tout d’abord, il a pour objectif principal de défendre la liberté des individus et des groupes à préserver leurs pratiques culturelles menacées par les djihadistes. Il vise aussi, en réhabilitant la ville ancienne et en préservant ce patrimoine architectural, à redynamiser un secteur d’activités basé sur l’identité culturelle. Plusieurs séances de concertation ont été organisées avec les parties prenantes : les familles, les chefs de quartier, la corporation des maçons et les associations culturelles. Ainsi, le projet contribue à favoriser la diffusion transparente de l’information. L’attention accordée à l’appropriation du projet par les habitants, en s’appuyant sur les radios communautaires et sur les chefs de quartier, a permis leur implication dans le choix des maisons à réhabiliter. En outre, la réhabilitation durable de maisons traditionnelles a également stimulé les techniques de construction porteuses de l’identité locale et permis de dynamiser les filières liées au patrimoine et de générer des revenus.
La culture demeure le moyen de résilience permettant aux habitants de développer des nouvelles stratégies de survie et de cohabitation harmonieuse et durable.
3. Objectifs et mise en œuvre du projet
3.1. Objectif global et spécifiques
L’objectif principal du projet est la redynamisation du tissu socio-économique et urbain de la ville de Tombouctou à travers la réhabilitation de maisons dégradées, la réalisation d’une carte de l’artisanat, notamment d’art et le renforcement des capacités institutionnelles et opérationnelles de la Mairie en matière de gestion du patrimoine culturel. Dans le contexte actuel d’une crise post-conflit, la culture demeure le moyen de résilience permettant aux habitants de développer des nouvelles stratégies de survie et de cohabitation harmonieuse et durable. Les objectifs spécifiques sont :
- Redynamiser le tissu socio-économique en se fondant sur le patrimoine historique bâti ;
- Renforcer les capacités institutionnelles et opérationnelles de la Mairie dans le domaine de la gestion et la conservation du patrimoine culturel ;
- Soutenir la réhabilitation du patrimoine architectural dans une démarche de synergie pour la mise en œuvre du Plan d’action
- Soutenir la promotion et la mise en valeur économique de l’artisanat d’art
3.2. Principales étapes
Les principales actions réalisées
- Réalisation d’une étude de redynamisation socioéconomique;
- Réhabilitation d’une trentaine de maisons ;
- Renforcement de capacités des agents municipaux en mobilisation des ressources financières, en informatique et en gestion du patrimoine culturel
- Participation du coordinateur du projet à l’atelier de « Gestion des constructions et réhabilitations dans une ville inscrite sur la Liste du patrimoine mondial », Chantier-Ecole 2014 à Grand-Bassam, Côte d’Ivoire.
- Participation du Maire, du responsable du suivi des activités et du coordinateur à l’Atelier et Chantier-Ecole et sur la Gestion des constructions et réhabilitations dans les villes du patrimoine mondial en juin 2015 à Grand Bassam, Côte d’Ivoire
- Réalisation d’une carte d’artisanat d’art.
- Ateliers de concertation participatifs
Cette action a permis la constitution d’une expertise locale en matière de gestion de logement dans une situation de précarité et d’urgence, avec la création d’un poste de coordination des activités de réhabilitation du patrimoine culturel et le recrutement d’un agent.
Plusieurs obstacles ont été rencontrés dans la mise en œuvre du projet, notamment la quasi-absence de moyens financiers obligeant la collectivité locale à solliciter des partenariats financiers internationaux, l’insuffisance de personnel spécialisé conduisant la Mairie à recruter un agent culturel, et surtout, l’insécurité dans la région qui a gêné le rythme d’exécution du projet. Nonobstant cette situation, toutes les actions prévues ont été réalisées. Les attentes des bénéficiaires ont été satisfaites et les objectifs ont été atteints. Le lien établi entre le patrimoine bâti et la valorisation des savoir-faire et des techniques traditionnelles de construction ont permis de fédérer les habitants autour de dynamiques participatives de réappropriation de leurs espaces de vie et de leurs expressions culturelle. La coopération internationale est venue renforcer les capacités de planification locale en matière de ressources culturelles. L’attention portée à la jeunesse mais également à la transmission ont favorisé le dialogue intergénérationnel créant les conditions pour la durabilité des résultats et des investissements réalisés.
4. Impacts
4.1. Impacts directs
Impacts sur le gouvernement local
L’impact a été mesuré sur la base des éléments suivants: le nombre d’actions à réaliser comme le recrutement d’un agent culturel, le suivi des activités ou encore l’achat d’équipement. Cette action a permis la constitution d’une expertise locale en matière de gestion de logement dans une situation de précarité et d’urgence, avec la création d’un poste de coordination des activités de réhabilitation du patrimoine culturel et le recrutement d’un agent.
Impact sur la culture et les agents culturels locaux
Par des chantiers-écoles, le projet a contribué à la transmission des savoirs et des savoir-faire des anciens maçons aux jeunes maçons de la corporation, avec des éléments du patrimoine immatériel, comme les rites précédant le démarrage d’un chantier.
Impact sur le territoire et la population
Le patrimoine culturel bâti a été conservé et redynamisé grâce à la réhabilitation d’une trentaine de maisons au bénéfice de familles vulnérables. Le projet a également permis d'inscrire la Mairie dans une nouvelle dynamique de gouvernance culturelle, s'appuyant sur la tradition de concertation des communautés et ayant facilité sa résilience et sa reconstruction après les traumatismes récents. Sa mise en œuvre a largement contribué à la création d’emplois pour la population.
4.2. Impacts transversaux
Ce projet s’inscrit dans un projet global visant à résorber les situations de grande précarité dans lesquelles certaines familles étaient tombées suite à la crise. Dans cette perspective, 32 familles déplacées ont pu bénéficier de micro-financements leur permettant de retrouver un habitat digne dans leur quartier. Une attention particulière a été prêtée aux femmes démunies et aux veuves propriétaires de leur maison.
4.3. Évaluation
Des rapports d’activité trimestriels et un rapport final du projet ont fait ressortir par des indicateurs les résultats obtenus. La méthodologie adoptée s’appuie d’une part, sur un cadre de concertation comprenant la Mairie, les partenaires techniques ainsi que les familles concernées, et d’autre part sur les rapports d’activité trimestriels témoignant des avancées ou des difficultés du projet. L’évaluation s’appuie sur un ensemble d’indicateurs objectivement vérifiables (nombre de maisons réhabilités, nombre d’études réalisées sur l’impact de la crise, nombre d’actions de promotion réalisées, et nombre d’emplois créés). Ces rapports ont donc mis en valeur la réhabilitation de 32 maisons au lieu de 20 prévues initialement, la réalisation des deux études consacrées à l’impact de la crise (sur le tissu économique et sur l’architecture ancienne), et une carte sur l’artisanat d’art. Enfin, 120 emplois ont été créés.
Le lien fait entre le patrimoine bâti et la valorisation des savoir-faire, ainsi que des techniques traditionnelles de construction ont permis de fédérer les habitants autour de dynamiques participatives de réappopriation de leurs espaces de vie et de leurs expressions culturelles.
4.4. Continuité
Afin d’assurer la continuité de ce projet, la Mairie, toujours accompagnée de la Direction nationale du patrimoine culturel et de l’UNESCO, s’active à l’élaboration d’un projet qui viserait à consolider les synergies entre les différentes activités et projets en cours dans le cadre d’un projet d’appui aux collectivités urbaines. L’AIMF envisage également d’appuyer une seconde phase de si la Mairie de Tombouctou parvient à y contribuer financièrement. Enfin, Tombouctou prévoit de pérenniser son action par un programme de soutien à l’artisanat d’art et aux métiers du patrimoine culturel dans le cadre d’une politique publique.
5. Informations relatives
La Ville de Tombouctou a été candidate à la deuxième édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (janvier-mai 2016). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2016 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en œuvre de l’Agenda 21 de la Culture, et comme mention spéciale de la deuxième édition du Prix.
Texte approuvé en décembre 2016.
Bonne pratique publiée en janvier 2017.
Cette fiche a été réalisée par Kassim DIAKITE, Coordonnateur du projet, Tombouctou, Mali.
Contact: diakitekassim (at) yahoo.fr