Points de culture de Panama

Contexte

Premier établissement européen sur la côte Pacifique d’Abya Yala [terme de la langue du peuple indigène Kuna de Panama utilisé pour désigner l’Amérique], la ville de Panama fêtera bientôt ses 500 ans. Le district-capitale fait partie de la zone métropolitaine du pays, un territoire qui accueille près de 60 % de la population totale de la République. Panama est considérée comme l’une des capitales les plus mondialisées du continent, avec une économie dynamique fondée majoritairement sur les services multimodaux liés à la route interocéanique ; elle est également forte d’une certaine diversité biologique et culturelle.

La ville s’est configurée sur une bande territoriale très étroite de 2 561 km2, et elle est composée d’une population multiethnique et pluriculturelle très complexe : géologiquement, l’isthme appartient à l’Amérique centrale ; culturellement, la diaspora afro-antillaise qui a eu lieu entre 1846 et 1914 pour la construction du Chemin de fer inter-isthme et du Canal a laissé de profondes traces dans l’ADN social de Panama ; historiquement, la ville a été reliée à l’Amérique du Sud, en particulier la Colombie, le Pérou et l’Équateur en raison de l’empreinte coloniale espagnole, avec laquelle fut entamée la relation entre l’Europe et les Amériques. Depuis le 20e siècle, elle a établi des liens plus étroits du point de vue économique et politique avec les États-Unis.

Panama et la culture

À Panama, la culture n’a pas fait partie des compétences endossées par les gouvernements locaux, excepté le soutien ponctuel à des événements isolés, selon une logique clientéliste et sans répondre à des propositions programmatiques. Cette faiblesse institutionnelle de la culture à l’échelle municipale est un héritage de la gestion mise en place par le gouvernement central ces 40 dernières années.

Dans l'imaginaire dominant au Panama, la culture a toujours été représentée comme un élément essentiel du folklore ou comme synonyme de production artistique (haute culture), exclusivement liée à l’usage créatif des excédents et des richesses sociales de la part d’une minorité. Cette vision ornementale et élitiste de la culture exclut les formes variées et multiples que peut prendre cette dernière.

"Points de culture" est un exercice de gouvernance culturelle, droits culturels, et inclusion sociale au sein duquel les établissements scolaires servent d'espaces communautaires pour élaborer des processus culturels, artistiques et sociaux.

Le Maire de la ville de Panama José Isabel Blandón a impulsé en 2012 la création d’un ministère de la Culture qui puisse offrir un cadre normatif à l’actualisation des politiques culturelles de l’actuel Institut National de Culture (INAC). La loi a été approuvée à l’unanimité à l’Assemblée nationale mais rejetée par la suite par l’Exécutif, sans être reprise pour le moment.

À partir de 2014, la Mairie de Panama a établi, à travers la Direction de la culture et de l’éducation citoyenne, une stratégie programmatique pour cinq ans, qui s’étend jusqu’à 2019. Elle est orientée vers la reconnaissance, la promotion et la garantie des droits culturels de toutes les personnes et communautés du district de Panama, comme composantes d’une société qui respecte l’égalité, la dignité humaine et la non-discrimination.

L’un des programmes emblématiques de cette politique publique municipale est celui des « Points de culture », adaptation à la réalité panaméenne du projet originaire du Brésil, créé par Célio Turino. Il s'agit de centres culturels et citoyens dans les écoles officielles, qui offrent un minimum de huit activités artistiques, éducatives et d’usage du temps libre, tous les samedis. De cette façon, un établissement de chaque corregimiento (division de district) devient un espace collectif qui servira d'incubateur de projets culturels, artistiques et sociaux, avec une attention particulière portée au développement de capacités fondamentales qui améliorent les compétences citoyennes des communautés et renforcent le tissu social.

Panama a été sélectionnée pour être Capitale ibéroaméricaine de la Culture 2019 et elle a également été désignée Ville créative gastronomique de l’UNESCO. Récemment, elle a rejoint Ibercocinas, ce qui suppose un défi de coordination locale et avec les principaux agendas mondiaux de la culture et du développement.

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectif principal et spécifiques

Créer un écosystème communautaire dans six écoles publiques du ministère de l’Éducation où la gouvernance culturelle et les droits culturels peuvent être renforcés par l’intermédiaire d’une plateforme ludique de formation, aux actions pluridisciplinaires, interculturelles, intergénérationnelles et de cohabitation citoyenne.

Objectifs spécifiques :

  • Établir un accord interinstitutionnel qui permette à la Mairie de Panama de gérer tout en transparence les fonds apportés par le MEDUCA (ministère de l’Éducation) pour le développement du programme Points de culture.
  • Former le personnel enseignant, les gestionnaires culturel·le·s, les pères et mères de famille et les intéressé·e·s aux méthodes participatives et pédagogiques sociales, focalisées sur le développement de capacités fondamentales, la construction de la citoyenneté, la méthode « STEAM » et la pensée créative.
  • Créer un système d’indicateurs permettant de mesurer les impacts.
  • Cartographier et coordonner les artistes et gestionnaires culturel·le·s communautaires pour qu’il·elle·s deviennent des ambassadeur·rice·s culturel·le·s.
  • Élaborer des projets transversaux pour comprendre et prévenir l’abandon scolaire, la violence, les grossesses non désirées et le travail infantile, entre autres.
  • Impulser la création et/ou le renforcement de conseils communautaires de culture et développement où l’on réfléchit et gère la vie culturelle des territoires de façon permanente.
  • Relier l'agenda de la ville à l’agenda des communautés participantes au programme Points de culture pour faciliter l’accès de la population vivant en périphérie à la programmation.

Développement du projet

Principales actions réalisées

Le matin ou le soir, enfants et adolescent·e·s pourront accéder, dans leur propre quartier, à un vaste éventail d'activités : peinture, musique, danse moderne, hip-hop, robotique, mathématiques, jonglage, écriture créative, recyclage, potagers urbains, mastic, contes, gastronomie, apprentissage de langues indigènes, ciné-clubs et bien d'autres encore, dans des ateliers dont la thématique et la méthodologie sont pilotées par des spécialistes en pédagogie sociale, éducation populaire et techniques artistiques, afin de stimuler la créativité et les intelligences.

La Mairie a doté d’équipements, instruments/matériel et adaptés les espaces choisis dans les écoles ; elle a lancé des processus de consultation de la communauté et de sécurité au sein des établissements scolaires. Les écoles du MEDUCA et leurs communautés éducatives offrent l’espace et le soutien à la logistique.

La Mairie propose également un cycle de formation permanente en partenariat avec les centres d’enseignement supérieur, comme valeur ajoutée pour les tuteur·rice·s/promoteur·rice·s/artistes dans des thématiques de gestion culturelle, élaboration de projets et approches pédagogiques de l’enseignement des arts. En outre, la population bénéficiaire a accès, de façon périodique et coordonnée, à des processus de formation collective pour la production, gestion et socialisation des biens et des services qui sont définis démocratiquement comme primordiaux pour la coexistence pacifique, en respectant la pluralité et la diversité culturelle.

Intitulée "Été créatif", la phase pilote du programme en 2015-2017 a été une réussite, avec la participation de 5 000 personnes. Les évaluations positives des bénéficiaires et des communautés éducatives ont servi à confirmer la pertinence du projet.

Impact

Impact direct

Impact sur le gouvernement local

  1. Promotion de la participation citoyenne (plus de 5000 personnes bénéficiaires via les processus de formation éducative culturelle en phase pilote).
  2. Nouvelles institutions culturelles à l’échelle du gouvernement local.
  3. Amélioration des processus de prises de décisions et de la gouvernance culturelle : lancement de processus du bas vers le haut, avec les communautés (travail avec six quartiers du district capital) pour actrices principales.
  4. Espaces physiques réaménagés et nouvelle infrastructure culturelle publique d’où exercer les droits culturels.
  5. Capacité existante et partenariats en réseau pour la durabilité.

Impact sur la culture et les acteurs culturels locaux

  1. Récupération et revalorisation du patrimoine immatériel et des espaces publics (les participant·e·s aux processus de formation s’autonomisent et produisent la chaîne de valeur culturelle à travers l’élément public).
  2. Renforcement des capacités : les gestionnaires culturel·le·s et les artistes sont consolidé·e·s professionnellement avec une sensibilité sociale et des outils pour participer à la construction des politiques culturelles locales et nationales.
  3. Installation d’une culture de reddition des comptes et de mesure des impacts.
  4. Revitalisation du tissu social des organisations au travers des partenariats.
  5. Promotion de processus de récupération de la mémoire.
  6. Dialogue interculturel.

Impact sur le territoire et sa population

  1. Une plus grande équité est établie dans la dotation budgétaire destinée à la culture, non plus seulement à l’échelle des gouvernements locaux, mais également à l’échelle du gouvernement central, respectant ainsi les suggestions des organismes internationaux (UNESCO).
  2. Optimisation des ressources de l’État, à travers une plus grande participation des agents communautaires, selon une logique de résolution des problèmes innovante, coopérative et qui génère à leur tour des processus de gouvernance culturelle.
  3. Les bénéficiaires du programme deviennent des multiplicateur·rice·s et dynamisateur·rice·s des débats sur la culture et le développement à l’échelle nationale.

Avec les "Points de culture" il devient possible d'inclure les droits culturels (Déclaration de Fribourg) tout comme l'Agenda 21 de la Culture et les ODD au débat interne des municipalités du pays, dans le cadre de la décentralisation.

Évaluation

Le programme est doté d’une stratégie d’évaluation des impacts, qui emploie une méthodologie mixte, utilisant un système de variables et d’indicateurs construits à partir de la ligne de base consolidée à l’aide des données de la phase pilote et de celles qui émaneront de la mise en oeuvre du programme entre avril 2018 et décembre 2019.

Concernant les droits culturels, différents indicateurs évalueront l’objectif d’accroître l’accès de la population aux espaces et activités de formations, culturelles, ludiques et créatives, avec une approche fondée sur les droits humains, qui encourage la participation des populations mal desservies du district de Panama.

Pour évaluer l'inclusion, les indicateurs mesureront l’objectif de doter les centres éducatifs participant au programme Points de culture des conditions minimales nécessaires à la réalisation des activités programmées avec une approche d’espace public.

D’autres indicateurs évalueront les avancées relatives à la gouvernance de la culture.

Facteurs clefs

Une part de la réussite des Points de culture réside dans la nouvelle forme de relation qu’ils établissent avec l’État, dans ce cas par l'intermédiaire des gouvernements locaux et des communautés. Cela doit avoir pour rôle principal de faciliter les processus tandis que les communautés doivent avoir la maturité organisationnelle suffisante pour autogérer tous les aspects de la vie dans les territoires.

Même si la réussite de chaque point de culture dépendra de l’élan dans la coordination de chaque communauté, la grande demande qui existe dans les quartiers de disposer de ces installations culturelles et artistiques, résultat des forts niveaux d’inégalités existant dans la ville de Panama est un indicateur de la pertinence du projet.

Les points de culture proposent la création d'un écosystème permettant de recomposer le tissu social; en ce sens, des changements dans les imaginaires individuels et collectifs ont été constatés auprès de la population bénéficiaire, un fait qui stimule les chances de réussite du programme.

Continuité

Des démarches sont effectuées afin que le district de Panama se dote d’une loi relative à la culture avec le programme Points de culture comme l’une de ses principales composantes. Bien que cela dépende de la volonté politique des conseiller·ère·s de la municipalité, nous aspirons à ce qu’augmente la prise de conscience des communautés concernant leurs droits culturels au fur et à mesure du développement du programme.

En savoir plus

Panama a été candidate à la troisième édition du Prix international CGLU-Ville de Mexico-Culture21 (novembre 2017 – mai 2018). En juin 2018, le jury a publié son rapport final et demandé à la Commission Culture de CGLU de promouvoir ce projet comme exemple de bonne pratique de la mise en oeuvre de l'Agenda 21 de la Culture.

Cette fiche a été rédigée par Alonso Ramos, sous-directeur d’Éducation citoyenne du district de Panama/Corregimiento de Betania, Panama.

Contact : Alonso.ramos@municipio pma.gob.pa
Site web : https://mupa.gob.pa/

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