Patrimoine culturel du centre historique de Naplouse: préserver l'identité culturelle sous l'occupation

Contexte

Capitale économique de la Palestine, Naplouse est une ville d’origine cananéenne établie par les Cananéens arabes (les Hawyouns) en 4200 avant J-C. Les premiers établissements originaires connus comme Tell Balata et identifiés comme Schechem se situent à l’est du centre historique et ont été occupés puis détruits par les Romains en 67 avant J-C. La ville reconstruite a ensuite pris le nom de « Flavia Nyapols », devenue finalement Naplouse.

Le centre historique de Naplouse est fort d’une grande valeur artistique et historique. En effet, il a été bâti et rebâti siècle après siècle et contient des ruines remontant aux périodes Romaine, Byzantine et Ottomane. Désormais déserté à 40 %, il comprend un tissu compact de bâtiments aux arches étroites, d’espaces publics aux caractéristiques orientales, et plus de 100 monuments architecturaux historiques (anciennes fabriques de savon, bains turcs, palais historiques, sources d’eau, églises, mosquées, khans, jardins anciens, etc.)

Le centre historique souffre brutalement de l'occupation israélienne depuis 2002, une longue période de siège et des bombardements militaires de plus de 1 000 immeubles. Le siège a également mené à la détérioration des activités économiques, touristiques et agricoles de la ville, et nombre d'entreprises et de fonds ont choisi de partir s’installer dans d’autres villes voisines. L'expansion de la ville a également été empêchée en raison du déploiement des colonies israéliennes et des sites militaires dans toutes les montagnes environnantes. Aujourd’hui, avec 11 000 habitant·e·s, le centre historique est l’une des zones les plus défavorisées de Naplouse, à cause du départ des classes supérieures et instruites, la ségrégation des nouveaux·elles résident·e·s, la hausse de l’analphabétisme, le manque d’incitations sociales pour les progrès personnels et le fort taux de chômage par rapport au reste de la ville.

La municipalité de Naplouse a entrepris l'initiative de préserver le centre historique, considéré comme un héritage architectural, au moyen de l'établissement d'une unité spécialisée dans la restauration de la vieille ville, et l'attribution d'une classification de zone d'aménagement spécial du territoire.

Nablus et la culture

L’ancienne ville de Naplouse (connue également comme « Le musée ouvert ») a été gravement détruite et ciblée militairement à plusieurs reprises, illustration du processus de destruction du patrimoine palestinien qui a eu lieu ces dix dernières années en raison de l’occupation israélienne. Située en Cisjordanie, loin de la principale ligne touristique, elle a été vulnérable aux destructions pendant de longues périodes, élevant la question de la préservation du patrimoine face à l’occupation militaire au niveau de nécessité absolue et comme forme de résistance nationale pour la sauvegarde de l'identité du pays.

Lorsque les accords de paix d’Oslo ont été signés en Palestine occupée en 1995, les institutions de l’Autorité palestinienne ont été établies dans la ville de Naplouse. À cette époque, ceci avait été accompagné par le développement culturel visant à résoudre les problèmes chroniques liés à la croissance démographique, aux embouteillages, aux infrastructures de mauvaise qualité et aux situations sociales compliquées ; c’est dans ce contexte que la ville de Naplouse a mené des politiques de préservation. Ces dernières étaient alignées sur les principes du tout jeune ministère du Tourisme, qui venait d'adopter le patrimoine culturel comme élément majeur du développement durable, en partenariat avec les communautés locales, et procédait à la qualification de 60 000 édifices traditionnels, 2 000 sites archéologiques et 5 éléments archéologiques.

Pour répondre au besoin urgent de réhabilitation de la zone, la municipalité a établi des projets fondamentaux, financés principalement par des subventions, afin de préserver les vestiges de l’ancienne ville arabe et des biens archéologiques romains et byzantins et pour associer le principal centre commercial de la ville au centre historique adjacent. Au-delà de la préservation et de la réhabilitation de la zone, cela a contribué à redonner de la vigueur au secteur du tourisme local.

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

Le principal objectif est de parvenir à un modèle durable de préservation et de développement du cœur historique de Naplouse, qui peut potentiellement devenir un centre culturel, social et commercial de Palestine.

En ce sens, ce projet vise à impliquer les citoyen·ne·s (à leurs propres frais) dans l’entretien et la préservation de ce patrimoine (sous la supervision de la Municipalité), afin de réduire la dépendance aux financements et subventions externes.

Un autre objectif est de stopper les flux migratoires quittant la ville, améliorer et moderniser l’environnement urbain en un lieu sûr et égalitaire, et trouver l’équilibre entre préservation de l’histoire et réponse aux nécessités de la vie contemporaine de la population.

Développement du projet

Principales actions réalisées

Le plan de préservation de la ville se fonde sur une vision politique, économique et architecturale sur le long terme, qui entend développer le centre historique. Le plan est formulé ainsi : « Le renouveau et le développement de l’ancienne Naplouse dans ses secteurs social, économique et culturel, la préservation de son patrimoine urbain, la modernisation de ses services au sein d’une société sûre et diversifiée, pour rendre à Naplouse son statut historique, avec la participation de toutes les strates de la société ».

En dépit de la démolition et de la destruction des édifices historiques et de vieille ville, le centre historique de Naplouse a conservé une grande valeur artistique et historique et a été inclus sur la liste indicative du patrimoine mondial de l'UNESCO.

Le plan a été élaboré en s’appuyant sur l'identification des nécessités locales, effectuée au travers d’un inventaire du patrimoine architectural ancien :

  • Préserver le patrimoine urbain de la vieille ville et protéger les monuments pour veiller à leur durabilité ;
  • Améliorer et moderniser l’environnement urbain ;
  • Améliorer les conditions de vie des habitant·e·s et des visiteur·se·s;
  • Fournir des infrastructures et des services pour attirer les activités économiques;
  • Restaurer la centralité de la vieille ville au travers du développement social, économique et culturel ;
  • Mettre en œuvre des systèmes de protection et des lois liées au patrimoine mondial en vue de préserver et revitaliser la vieille ville, et restaurer les édifices conformément aux normes techniques internationales ;
  • Promouvoir la sensibilisation et la participation de la communauté au processus ;
  • Trouver l’équilibre entre exigences de modernité et authenticité au travers de l’interaction et de la régénération du patrimoine culturel (matériel et immatériel) ;
  • Améliorer la qualité des logements afin d’encourager les gens de différentes origines sociales à venir vivre dans le centre et dynamiser les investissements ;
  • Développer les activités commerciales existantes et l’artisanat traditionnel ;
  • Préserver le patrimoine culturel comme source de connaissances et de développement du tourisme.

Le plan de redynamisation proposé suit également les règles générales et principes appliqués pour préserver les villes historiques :

  • Préserver le caractère distinctif de la ville historique et du contexte du patrimoine urbain ;
  • Apprendre des expériences internationales en matière de restauration des villes historiques et de leur adaptation correspondante ;
  • Adapter les plans de développement à la valeur historique des environs ;
  • Adopter une vision intégrale de la vieille ville englobant tous les secteurs de la réhabilitation, en veillant à ce que les projets de préservation améliorent les conditions économiques et sociales et soient répartis de façon juste et égale ;
  • Définir une commission de travail dédiée, composée de toutes les parties prenantes, notamment des expert·e·s, les institutions gouvernementales, les universités, la société civile, les organisations, la chambre de commerce et le secteur privé, pour garantir la réussite de l’intégration transversale du plan.
  • Sensibiliser la communauté locale à l'importance de la préservation du patrimoine historique et encourager la participation publique au travers de la mise en œuvre du plan directeur de préservation.

Sur le terrain, ceci s’est traduit par les projets de réhabilitation suivants :

  • Régénération de neuf îlots de maisons anciennes (Hosh) hébergeant plus de 100 familles défavorisées.
  • Sécurisation de 84 sites dont les vieilles façades menacent de s’effondrer.
  • Réhabilitation de 20 % du réseau des infrastructures et des chaussées.
  • Huit projets continus d’amélioration et de modernisation des espaces publics de la vieille ville, y compris la réhabilitation de la tour de l’horloge de la place centrale.
  • Acquisition et rénovation de cinq bâtiments du patrimoine en partenariat avec des institutions de la communauté.
  • Mise en œuvre du projet Khan Al-Wakah, comme premier hôtel traditionnel de la vieille ville.
  • Sensibilisation du public aux lois du patrimoine et de la conservation.
  • Restauration du bazar traditionnel (marché de vêtements) entre autres études de réhabilitation de marchés.
  • Inventaire de 100 sites du patrimoine architectural et historique.
  • Rénovation de plusieurs complexes résidentiels détruits et retour des ancien·ne·s résident·e·s.

La municipalité de Naplouse compte parmi ses partenaires : le Gouvernorat de Naplouse, l’Université Najah, le ministère du Tourisme et des Antiquités, la Société civile de Naplouse (ONG) et l’ONG Taawon.

Les principaux obstacles rencontrés par la municipalité concernent l’absence de législations et de réglementations qui devraient obliger les institutions et les individus à préserver le patrimoine urbain et répondre aux nécessités actuelles de la société palestinienne et le manque de sensibilisation du public au patrimoine, en particulier les investisseurs, qui considèrent encore le patrimoine comme une source de menace et de désagrément.

Impacts

Impacts directs

Impact sur le gouvernement local

L’inscription de sites du patrimoine palestinien sur la liste du patrimoine mondial suite à l’acceptation de la Palestine comme membre de l’UNESCO à part entière a eu un grand impact sur la prise de conscience du gouvernement Palestinien que son patrimoine était l’un des instruments les plus importants en sa possession pour libérer sa patrie, ce qui a donc accru son implication active dans ce domaine.

Impact sur la culture et les acteurs culturels locaux

Ce projet a consolidé le lien entre les habitant·e·s de la vieille ville et leur foyer, et a accru leur sentiment d’appartenance aux habitations traditionnelles, qui reflètent la culture dont il·elle·s font partie. Ceci a également permis d’améliorer la confiance envers le potentiel de leur patrimoine et dorénavant, la communauté se mobilise plus souvent contre les démolitions des bâtiments anciens.

La population la plus défavorisée de la vieille ville se sent mieux estimée après une longue période de marginalisation, grâce au fait que sa ville et ses maisons anciennes sont considérées comme des chefs-d'œuvre architecturaux et sont devenues une destination touristique et une source de fierté.

Impact sur le territoire et la population

Les projets de réhabilitation en lien avec le patrimoine dans la vieille ville sont devenus un point d’attraction des visiteur·se·s venant d’autres villes Palestiniennes ou de l’étranger. Ces résultats concrets ont encouragé les citoyen·ne·s à mener à bien les travaux d’entretien à leurs frais, une démarche cruciale pour parvenir à la durabilité et ne pas dépendre entièrement de subventions externes.

Évaluation

Un travail est actuellement effectué pour mettre à jour les données sur le ratio entre maisons habitées et abandonnées au sein du complexe résidentiel (hosh), mais aussi pour réaliser un suivi et une mise à jour des données concernant le profil et la situation socioéconomique des nouveaux elles locataires, les types des nouvelles boutiques et l’ouverture et fermeture des installations touristiques.

Facteurs clefs

  • L’implication et la participation des expert·e·s de la ville dans la rédaction du plan directeur aux côtés des bailleurs internationaux a permis de répondre aux exigences locales et aux conditions particulières. Cela a également permis de parvenir à un équilibre entre la réponse aux besoins contemporains des habitant·e·s tout en veillant à la vitalité du lieu et à la préservation de l’environnement du patrimoine.
  • La participation de plusieurs organisations gouvernementales et non-gouvernementales et du secteur privé a amené une perspective et une vision nouvelles sur le patrimoine culturel cela a également enrichi les propositions, élargi les connaissances et fourni de la motivation aux personnes afin qu’elles s’engagent dans la protection et la préservation.
  • Une étude approfondie des spécificités sociales, physiques et culturelles de la vieille ville a permis la juste répartition des projets dans tout le centre historique, garantie de la justice sociale.

Continuité

Actuellement, 9 îlots résidentiels sur 123 ont été réhabilités.

Notre plan directeur comprend les projets de réhabilitation planifiée dans différents secteurs jusqu’à 2027, en fonction de la disponibilité des financements externes (les projets actuels sont financés par des subventions de plusieurs pays, par l’intermédiaire de l’Association Taawon).

Dans le futur proche, nous attendons avec impatience de mettre en œuvre, en coopération avec l’UNESCO, un projet de réhabilitation des espaces publics au cœur du centre historique, projet arrêté en raison d’un manque de financement. Plusieurs autres projets seraient nécessaires à consolider et entretenir les façades et édifices publics dangereux, et des milliers de dossiers de résident·e·s de la vieille ville sont soumis à la municipalité en la matière.

En savoir plus

Naplouse a été candidate à la troisième édition du Prix international CGLU-Ville de Mexico-Culture21 (novembre 2017 - mai 2018). En juin 2018, le jury a publié son rapport final et demandé à la Commission Culture de CGLU de promouvoir ce projet comme exemple de bonne pratique de la mise en œuvre de l'Agenda 21 de la Culture.

Cette fiche a été rédigée par Rania Taha, directrice de l’unité de la vieille ville, département d'ingénierie de la municipalité de Naplouse, Palestine.

Contact : raniataha2000@yahoo.com

Site web : nablus.org

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