École des Communs de Dakar

1. Contexte

Dakar est la capitale du Sénégal et a été le cœur d’une ambitieuse politique culturelle portée par le président Léopold Sédar Senghor, avec la construction d’ensembles urbains et d'équipements culturels entre 1960 et 1980, dont le quartier de la SICAP, au centre de Dakar, où de nombreuses cultures du Sénégal, d’Afrique de l’Ouest et du Cap Vert ont édifié une identité marquée par la diversité et l’ouverture. Avec les politiques d’ajustement structurel, une insuffisance d'investissements publics et la paupérisation des habitants, le quartier a vu ses places publiques et ses équipements éducatifs, culturels et sanitaires progressivement se détériorer.

Kër Thiossane (association/ONG de droit Sénégalais) est un espace de partage culturel dédié à l'expérimentation artistique et sociale, ancré dans son territoire et présent sur la scène internationale ; un pôle ressource pour la création numérique en Afrique.

Suite au forum social de 2011, Kër Thiossane a amorcé un chantier autour des Biens-Communs et a produit en deux ans des contenus partagés localement et internationalement. Elle a contribué activement à la mise en pratique et à l'animation des communs émergeant de différents contextes interculturels du Nord, et l'enrichissant des perspectives du Sud (http://www.remixthecommons.org/).

Kër Thiossane a souhaité en 2013 formaliser les actions amorcées en ouvrant une école de l'En-Commun. Le projet est généré par une crise de l’espace urbain, liée à des conflits de voisinage, un espace public déconsidéré et des infrastructures insuffisantes. Il repose sur l’idée qu’une créativité collective et citoyenne peut contrer ces réalités, et suggère une dynamique d’appropriation créative de la ville pour la rendre plus hospitalière, conviviale et sûre.

2. Dakar et la culture

Dakar a formulé une politique culturelle visant à soutenir la création ainsi que sa diffusion, la formation des acteurs culturels et l’accompagnement des initiatives privées à partir d’une consultation des acteurs culturels. Un programme de requalification des 17 centres sociaux culturels a été entamé avec la maison des cultures urbaines et la maison des arts plastiques. Chacun d’entre eux a pour vocation de former, créer et diffuser la création. Les programmes de formations, visent à professionnaliser les acteurs culturels déscolarisés. Un fond d’appui aux initiatives culturelles subventionne des projets examinés par un jury de la société civile. La ville a également adhéré au réseau des villes créatives de l’UNESCO afin de : (1) faire se rencontrer les technologies numériques et l’art; (2) accompagner les créateurs pour qu’ils s’approprient les outils numériques ; (3) inciter la population à se saisir du numérique (4) contribuer à développer l’économie créative locale.

Le projet est généré par une crise de l'espace liée à des conflits de voisinage, un espace public déconsidéré et des infrastructures insuffisantes. Il repose sur l'idée qu'une créativité collectivité et citoyenne peut contrer ces réalités.

Le projet puise dans les fondements de la culture libre : partage de la connaissance, libre accès à la culture et à l'éducation, recherche, expérimentation, transmission, respect de la diversité. Cette école des Communs permet aux artistes de développer des pratiques artistiques collaboratives en expérimentant de nouvelles formes d'engagement avec les communautés sur la question de l'être ensemble. Ce laboratoire vivant accompagne et lie la production artistique au renforcement des compétences, et des capacités culturelles et politiques. L'expertise méthodologique unique qu'il en

ressort sera partagée. À travers la promotion de logiciels libres, du Faites-le-vous-même/Faites-le avec d'autres, des licences libres (Creatives Commons), et des savoirs partagés, de nouveaux modèles d'économies alternatifs seront expérimentés avec les publics (habitants, artisans, bricoleurs, étudiants, informaticiens, développeurs, acteurs culturels...).

3. Objectifs et mise en oeuvre du projet

3.1. Objectifs principaux et spécifiques

Objectifs principaux

O1 - « Définir les biens communs au service des dynamiques de construction de citoyenneté, par le biais de la culture et des pratiques artistiques ».

Les activités artistiques et culturelles devront contribuer à une meilleure définition des Biens Communs et permettre une plus grande prise en compte de la culture comme vecteur de citoyenneté.

O2 - « Démocratiser la culture et les biens communs auprès de toutes les populations, âges et milieux confondus ».

À travers des projets artistiques et culturels citoyens, l'objectif sera de redonner une image positive à des pratiques artistiques et, entre autres, aux cultures.

O3 - « Faire de la culture un vecteur de reconnaissance par les politiques, des citoyens et de leur capacité à agir pour la défense des biens communs, à l'échelle de leur quartier ».

Contribuer au rapprochement des groupes de citoyens et acteurs institutionnels, élu(e)s, à travers la diffusion et la promotion des artistes, dans le cadre d'actions citoyennes.

O4 - « Proposer aux décideurs politiques la culture et l'art comme des outils efficaces pour le développement durable et la préservation des biens communs ».

Démontrer l'impact et le rôle positif de l'art et de la Culture dans la préservation des biens communs ; fournir aux responsables de la politique culturelle des repères et des informations pour intégrer l'art et la préservation des biens communs, dans la mise en œuvre des politiques de développement de villes durables.

Kër Thiossane est le premioer laboratoire pédagogique et transdisciplinaire lié aux pratiques des technologies numériques et aux nouveaux outils de communication, en Afrique de l'Ouest.

Objectifs spécifiques

OS1 – « Sensibiliser le grand public à la préservation des biens communs par la culture ».

L'objectif est d'impliquer les populations du quartier de Sicap et le grand public dans la gestion des biens communs autour d'actions culturelles citoyennes”.

OS2 - « L'art comme moteur d'implication des habitants dans la gestion de leur ville ».

Encourager les citoyens à interroger leur ville et à reprendre le dessus sur leur territoire par la diffusion et la mise en œuvre de projets culturels participatifs.

OS3 – « Contribuer à la formation, la structuration et à la promotion des jeunes artistes».

Soutenir l’émergence du secteur artistique pluridisciplinaire (formations, ateliers de créations, résidences) et favoriser son développement et rayonnement par la professionnalisation des acteurs, la production de contenus spécifiques, et une communication assurant une visibilité à internationale.

OS4 – « Expérimenter l'Autogestion d'un espace en commun ».

Contribuer à la création d'un espace en commun approprié à la rencontre entre pratiques, disciplines, différents acteurs et publics, à l'épreuve de la réalité de la gestion en commun.

OS5 – « Former de jeunes médiateurs sociaux par la mise en œuvre de projets citoyens».

Permettre la formation en médiation sociale des jeunes.

3.2. Principales étapes

Principales actions réalisées

Un travail de proximité, d'écoute, d'information et de validation incluant habitants et acteurs locaux (institutions, mosquée, associations, centres sociaux) a été réalisé avant la mise en œuvre du projet.

L'œuvre du jardin artistique « Jet d’Eau » a été réalisée par l'artiste Emmanuel Louisgrand avec des artisans et jardiniers locaux. Le fab lab Defko Ak Niëp (Fais-le avec les autres), espace de mutualisation des moyens, s’inscrit dans une démarche d'essaimage de la culture libre, où prime la notion de partage et d'enrichissement des biens communs, avec des ateliers d'électronique jeunes publiques, et de recyclage informatique ou soirées de présentation de l'impression 3D). Au printemps 2014, la programmation du 4e festival Afropixel « Jardin de Résistance » était centrée sur l’école des Communs, avec une programmation riche et diversifiée (ateliers, conférences, résidences d'artistes, web radio) qui a rassemblé un public d’environ 3000 personnes pendant un mois.

Il s'agit par la pratique artistique d'ouvrir des espaces artistiques mentaux et sentibles de possibles, de forger des modes d'expériementation qui travaillent en acte la question de l'être ensemble.

La principale difficulté a été de ne pas se substituer aux institutions et de rester sur une expérimentation des communs de création artistique et de développement durable, en impliquant l'ensemble des acteurs locaux. Une autre difficulté est la tendance à la perte du sens du Commun dans les centres urbains au Sénégal, où l'individualisme prend le dessus sur la communauté, et où il est difficile d'impliquer bénévolement les populations sans tentative de récupération personnelle, politique ou religieuse. L'École des communs a su recréer du commun dans l’espace public. Aujourd'hui, les habitants s'organisent pour contribuer à l'amélioration de leur cadre de vie. L'École des communs leur a permis de se rencontrer, d'échanger autour de leur quartier. Autour d'actions artistiques alliant cultures urbaines, photographie, numérique, art contemporain aux formes plus traditionnelles comme les cérémonies SIMB (faux lions) ou la couture.

4. Impacts

4.1. Impacts directs

Impacts sur le gouvernement local

Le projet a permis aux services de la ville de Dakar de prendre conscience des possibilités qu’ouvre l’ancrage à l’échelle du quartier; de mesurer la fécondité du concept des communs pour recréer de la participation sur les questions relatives à l’environnement, l’éducation et la culture ; et de découvrir un modèle efficace d’appropriation des arts numériques

Impact sur la culture et les agents culturels locaux de la ville/territoire

Le projet a inspiré un programme de labellisations Dakar Ville Créative Arts Numériques à travers lequel la ville s’associe à des initiatives promouvant les arts numériques et engagé une dynamique de restauration de la bibliothèque municipale de la SICAP.

Impact sur le territoire et la population

Grâce à l’école des communs, des artistes dakarois (Arts plastiques, musique, cultures urbaines, littérature) ont bénéficié d’un espace pour s’approprier la question des communs. Des artisans ont pu découvrir des outils et savoir-faire susceptibles d’améliorer leurs productions et des écoliers, collégiens, lycéens et étudiants ont pu exercer leur créativité numérique. Les populations de la Sicap ont vu éclore un jardin public, un fab lab ainsi qu’un espace de discussion dans leur quartier.

4.2. Impacts transversaux

Les impacts économiques du projet sont la création d’emploi pour les artistes du quartier et pour les paysagistes (jardin artistique); la formation et l’initiation des artisans aux pratiques de « Makers » ; la promotion des logiciels et de la culture open source ; le développement d’un logiciel open source de mapping. Dans le domaine environnemental, le projet a permis de rénover un espace public abandonné pour en faire un espace ouvert au public doté d’une aire de jeux pour les enfants et d’un lieu de formation aux métiers du vert.

4.3. Évaluation

Un travail de documentation et d’analyse a été entamé, associant chercheurs, sociologues, historiens de l’art et populations. L'expertise qui en ressortira sera partagée au niveau local, régional et avec l'expérience internationale des Living Lab, particulièrement dans les contextes du sud, et contribuera au renouvellement des politiques culturelles durables, pour devenir une source de connaissances et d'innovation en matière de culture et de biens communs.

4.4. Continuité

Pour la suite, sont prévus:

  • des ateliers et activités culturelles réguliers pour le grand public autour du jardin;
  • des débats et cercles d'apprentissages sur des thématiques spécifiques (priorité sur jeunes publics et femmes) en lien avec les communs;
  • une Programmation culturelle pluridisciplinaire, avec des Résidences d'artistes, et un cycle dédié aux femmes;
  • des ateliers d’art, d’artisanat et de technologies open sources;
  • la construction d'une aire de jeux participative avec des étudiants architectes de Dakar;
  • l’'extension du jardin avec un espace pédagogique dédié aux métiers du vert, et une formation des jeunes sans-emploi aux métiers liés à l'écologie et au développement durable;
  • la réhabilitation de la bibliothèque avec un réaménagement, une numérisation de ses contenus, et l’organisation d’animations (séances de lectures, ateliers poésie, slam,...)
  • l’ouverture d'un fab lab à l'échelle de la ville de Dakar.

Autour d'actions artistiques alliant cultures urbaines, photographie, numérique, art contemporain aux formes plus traditionnelles comme les cérémonies SIMB (ballets de faux lions) ou la coutûre, Kër Thiossane interroge l'espace, sa sociologie, son histoire.

5. Autres informations

La Ville de Dakar a été candidate à la deuxième édition du « Prix International CGLU – Ville de Mexico – Culture 21” (janvier-mai 2016). Le Jury du Prix a élaboré son rapport final en juin 2016 et a demandé à la Commission culture de CGLU de faire rayonner ce projet comme étant une pratique exemplaire de la mise en œuvre de l’Agenda 21 de la Culture, et comme mention spéciale de la deuxième édition du Prix.

Texte approuvé en décembre 2016.

Bonne pratique publiée en janvier 2017.

Cette fiche a été réalisée par Marion Louis Grand Sylla, Directrice de Kër Thiossane et Mamadou Diallo, Chargé de mission Ville Créative, Dakar, Sénégal.

Contact: kerthiossane (at) gmail.com

mamadou.diallo (at) villededakar.org

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