Stratégie de transversalité pour l'égalité des genres au sein des politiques culturelles : Montevideo progresse vers la transformation culturelle

Contexte

Capitale de l’Uruguay, Montevideo est également le département le plus peuplé du pays, où se concentre 40 % des Uruguayen·ne·s, c’est-à-dire 1 319 108 habitant·e·s, dont 705 014 femmes et 614 094 hommes. C’est à Montevideo que se trouve la majorité des infrastructures culturelles et des centres de formation, malgré les efforts de décentralisation de ces dernières 10 années.

Bien que les femmes en Uruguay aient obtenu le droit de vote assez tôt (1938), dans une démocratie libérale qui traça les lignes d’un imaginaire de société intégrée et homogène, reconnaître les inégalités de genre reste encore une question complexe.

À Montevideo, très peu de femmes occupent des postes institutionnels. Dans le monde du travail, les Montévidéennes n’obtiennent pas de rémunération économique à hauteur de leur niveau d’études. Les femmes d’ascendance africaine et trans sont tout particulièrement lésées dans ce domaine, entre autres.

Les femmes sont celles souffrant le plus de violences physiques et psychologiques et de situations d’homophobie et de transphobie. 70 % des femmes de plus de 14 ans ont vécu des situations de violence fondée sur leur genre à un moment donné de leur vie et presque 50 % des femmes déclarent avoir vécu une forme de violence au cours de leur vie en couple. De plus, il est encore difficile pour elles d’exercer pleinement leurs droits sexuels et reproductifs. La culture n’a pas été épargnée par ces problèmes d’inégalités.

Depuis 2002, des plans d'égalité sont mis en oeuvre à Montevideo en tant que stratégie de transversalité pour l'égalité des genres et outil politico-technique; et depuis 2015, tout le département de la culture endosse un rôle prépondérant dans la définition des objectifs, avec les dotations budgétaires correspondantes.

Montevideo et la culture

En Uruguay se maintiennent et se reproduisent des représentations socioculturelles traditionnelles concernant les valeurs, les croyances et les attentes vis-à-vis des rôles des femmes et des hommes, démontrant ainsi des schémas particulièrement consolidés chez les couches les plus défavorisées et dans les zones rurales ou plus éloignées de la capitale. À l’absence de données officielles systématisées permettant de rendre visibles les écarts culturels liés au genre, s’ajoute un autre enjeu : celui de l’égalité et de la parité entre femmes et hommes dans le domaine culturel.

Dans le domaine de la culture, il existe des « schémas de genre implicites », qui supposent une survalorisation des réussites masculines. Comme le signalait l’ex-directeur de la culture de l’Intendance (Mairie) de Montevideo, Gonzalo Carámbula, la relation de l’État avec la culture peut être vue comme un « hexaèdre en mouvement », qui présente des problèmes idéologiques, politiques, économiques, institutionnels et en particulier de genre, une dimension généralement absente des écrits théoriques et des indicateurs locaux concernant la gestion culturelle politique. Voilà pourquoi il est essentiel pour le gouvernement de la ville de progresser en matière de politiques publiques avec une perspective de genre dans le domaine de la culture, en dépit des résistances venant du statu quo.

L’Uruguay a ratifié les engagements en matière d’égalité des genres de multiples instances mondiales relatives aux Droits humains (Vienne, 1993), à la thématique Femme et Développement (Beijing, 1995), à l’Élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDAW) et son Protocole facultatif, entre autres. De même, l’État a adhéré aux Objectifs de développement durable. En matière de culture, le pays a souscrit aux engagements internationaux qui se sont transformés en documents-guides pour le gouvernement national et Montevideo : la « Charte culturelle ibéro-américaine » (CCI) de 2006 et l’Agenda 21 de la culture (2004) et Culture 21 : Actions (2015) qui instaurent la dimension d’égalité de genre comme principe.

Le département de culture est l'un des trois plus grands départements en termes de budget et de fonctionnaires de l'Intendance (Mairie) de Montevideo. Focalisé sur la culture artistique, les infrastructures culturelles traditionnelles (troupes régulières, théâtres, musées, bibliothèques) et la stimulation de l'activité artistique de la ville, il évolue au 21e siècle vers la jouissance et l'exercice démocratique et inclusif des droits culturels de la population, la conquête de l'espace public et la cohabitation et le développement des identités locales et de la culture collective.

Pour doter les politiques publiques culturelles d'une perspective de genre, la priorité a été accordée au renforcement institutionnel : une Équipe de l'égalité est créée, composée de fonctionnaires de tous les domaines, un programme budgétaire transversal est défini pour l'égalité des genres, la perspective de genre est intégrée aux engagements de gestion institutionnels et des ateliers de formation et de sensibilisation en la matière sont mis en place pour les fonctionnaires.

Objectifs et mise en oeuvre du projet

Objectifs principal et spécifiques

L’objectif général est de doter les politiques culturelles publiques de Montevideo d’une perspective de droits humains et d’égalité des genres, en générant pour y parvenir des mécanismes et des procédures qui rendent possible leur mise en oeuvre effective.

Les objectifs spécifiques émanent du programme quinquennal du département de la culture dans le cadre du 3e Plan d’égalité des genres et sont répliqués dans le programme stratégique du département et des engagements de gestion institutionnels. Tous ont des cibles mesurables et systématisées par les 49 directions du Département et qui sont discutées avec les collectifs culturels bénéficiaires d’un soutien financier public.

  • Donner de la visibilité aux écarts entre les genres dans les thématiques liées à la gestion culturelle publique de Montevideo.
  • Encourager à ce que les activités culturelles et éducatives se constituent comme domaines participatifs d’exercice de la citoyenneté et de promotion des droits des femmes et des hommes.
  • Donner de la visibilité aux contributions des femmes à différentes disciplines artistiques et culturelles.
  • Développer des plans de formation et de sensibilisation au genre pour que les fonctionnaires deviennent promoteur·rice·s de l’égalité des genres.
  • Destiner un budget spécifique pour la réalisation des objectifs fixés.
  • Générer des indicateurs rendant visibles les écarts dans le domaine culturel.
  • Former une Équipe de l’égalité du département de la culture.

Les actions de la stratégie s'adressent aux citoyen.ne.s en général et aux fonctionnaires en particulier; elles incluent, entre autres, des ateliers de formation pour le département de la culture sur le genre, le langage inclusif et le harcèlement sexuel au travail.

Développement du projet

Principales actions réalisées

Observatoire du genre : relevé et création d’indicateurs pertinents à l’analyse de genre, au sein des troupes régulières (Comédie nationale, Orchestre symphonique, Orchestre philharmonique), des écoles de formation artistique (École pluridisciplinaire d’art dramatique et École de musique), du Centre des expositions Subte, du Musée Juan Manuel Blanes, des Locaciones Montevideanas (cinéma), du Prix littéraire Juan Carlos Onetti et du programme Renforcement des arts.

Intégration de clauses promotrices de l’égalité des genres : dans les appels d’offre et concours : Prix littéraire Juan Carlos Onetti, Règlement du concours officiel du carnaval, Fonds du programme Renforcement des arts, etc.

Reines du Carnaval : en accord avec les Conseils de quartiers et leurs commissions de culture et de carnaval, on a procédé à la révision d’un concours contesté pour sa contribution à la subordination des femmes et son encouragement aux stéréotypes de genre. Des modifications ont été apportées au règlement, avec la possibilité de s’inscrire pour toutes les femmes de plus de 18 ans, les femmes trans et les hommes. En 2017, son nom a été changé et est devenu : « Figures du Carnaval ».

Carnaval des promesses (avec la participation de filles, garçons et adolescent·e·s) : des changements ont été pratiqués dans le règlement, afin que les stéréotypes de genre ne soient pas accentués.

Colloque sur les inégalités de genre dans le domaine de la production et de la réalisation cinématographiques : cycle de conférences et de projection de films (Programme Cycle Deux femmes parlent, 2017).

Symposium de perspectives de genre dans le théâtre : outre les débats et les réflexions, un rapport a été dressé, recueillant les recommandations et les propositions à mettre en oeuvre dans les théâtres publics et indépendants.

Budget de genre : destiné aux actions spécifiques et rendu visible dans la planification budgétaire (34 500 USD en décembre 2017). En réalité, le budget contribuant à l’égalité des genres est encore plus important, car le libellé ne contemple pas les coûts des politiques culturelles (programmes éducatifs, théâtres, musées, troupes régulières, carnaval, etc.) qui ont également des impacts favorables en matière d’égalité.

Équipe de l’égalité : elle a été créée au sein du département de la culture avec les conditions nécessaires pour l’exercice de la promotion et du suivi de la transversalité de genre.

Las entités associées qui travaillent en coordination pour la mise en oeuvre de ces actions sont les équipes de l’égalité municipales, les commissions de quartier, les collectifs des différentes disciplines artistiques et les organisations de la société civile et l’Université de la république.

Impacts

Impact sur le gouvernement local

L’engagement des fonctionnaires est à souligner, ces dernier·ère·s étant parvenu·e·s à se rapprocher des citoyen·ne·s et à les impliquer dans une thématique contestée sur le territoire et par différentes entités (Commissions de culture et carnaval, médias, etc.).

Impact sur la culture et les acteurs culturels locaux

Des tensions sont apparues dans ce domaine. De plus, la répercussion dans les médias a été marquée par des opinions controversées sur la mise en place de changements favorables à l’égalité des genres au sein des politiques culturelles.

Impact sur le territoire et sa population

Cet angle a permis aux groupes de voisin·e·s et de quartiers de s’émanciper et de promouvoir les changements culturels. Exemples : demande de la part des femmes trans à être incluses dans les espaces de création artistique (projet pilote d’autofiction au Théâtre Solís) ; accès aux spectacles de collectifs de femmes victimes de la traite des personnes ; initiatives populaires pour modifier les règlements des carnavals, présence accrue des femmes dans la programmation des arts du spectacle, etc. Toutefois dans les secteurs bénéficiant d’un plus grand privilège et de davantage de visibilité professionnelle, l'interaction entre les différent·e·s acteur·rice·s a été intense et a révélé de la résistance.

Au niveau international, la présentation de l'initiative auprès des forums (UCCI) a généré un grand intérêt.

Évaluation

Dans le cadre du 3e Plan pour l’égalité des genres, le département de la culture a défini pour 2017 33 objectifs annuels dotés de leurs indicateurs respectifs. Pour le suivi des objectifs, on utilise le même système informatique que celui de l’Intendance (Mairie). Sur les 33 objectifs, 27 ont pu être réalisés en 2017, et 6 sont restés à accomplir pour l’année suivante. 32 objectifs ont été définis pour 2018.

La création de l’Observatoire du genre permettra d’évaluer si les politiques mises en oeuvre parviennent à influer sur les écarts de genre identifiés, ainsi que les rencontres de réflexion, les débats, les colloques, etc.

Facteurs clefs

La possibilité que de nombreuses artistes puissent disposer de plateformes qui les incluent et les appuient avec des ressources ; que les collectifs de femmes obtiennent des espaces de validation et d’accompagnement ; et que les femmes trans ou victimes de violence liée à leur genre puissent être sujets de politiques culturelles, en plus grande proportion parfois que celles dédiées aux artistes professionnels sont quelques-uns des facteurs clés.

Dans la conception et la définition de son budget de fonctionnement, le département de la culture privilégie la ligne liée à la décentralisation et aux actions avec la perspective de genre et les droits humains.

Continuité

La continuité est apportée par le fait que cette approche entraîne des politiques de genre transformatrices faisant partie des directives politiques et stratégiques du gouvernement de la ville, et non uniquement des actions qui transforment certains types de nécessités et intérêts différenciés. Les Plans d’égalité et leur développement en matière de gouvernance constituent la base de la durabilité de cette politique et la garantie de sa portée globale et du changement social, malgré les résistances du pays à certaines politiques.

L'un des facteurs clés est la conception d'actions et politiques fondées sur l'interprétation égalitaire du patrimoine culturel que défend la rapporteuse spéciale de l'UNESCO sur les droits culturels, Farida Shaheed.

En savoir plus

Montevideo a été candidate à la troisième édition du Prix international CGLU-Ville de Mexico-Culture21 (novembre 2017 - mai 2018). En juin 2018, le jury a publié son rapport final et demandé à la Commission Culture de CGLU de promouvoir ce projet comme exemple de bonne pratique de la mise en oeuvre de l'Agenda 21 de la Culture.

Cette fiche a été rédigée par Mariana Percovich, directrice générale du département de la culture, Montevideo, Uruguay.

Contact : mariana.percovich@imm.gob.uy
Site web : www.montevideo.gub.uy

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